Le demi-tour du monde

On a souvent présenté le Grand Raid (moi le premier) comme le premier tour du monde en voiture reliant les deux points les plus au sud de l’Afrique et de l’Amérique. En réalité, quand on y regarde de plus près, c’était un tour du monde en pointillés (une grande partie de l’Asie et l’Amérique centrale resteront inaccessibles), réalisé pour une bonne part… en avion, par des participants qui ont parfois dû se séparer et abréger les parcours terrestres par manque de temps pour réaliser leurs films.

Pierre Godde explique bien le casse-tête qu’a représenté le choix d’un itinéraire, avant et pendant le Grand Raid, tant et si bien que les ambitions de départ ont dû plusieurs fois être revues à la baisse.

Autre réalité moins connue du Grand Raid: la difficulté de la route et les distances étaient telles que la qualité des films et de l’émission aurait souffert si nous étions toujours restés regroupés pour faire le Raid par voie terrestre. Nous n’aurions eu qu’une journée ou deux pour trouver un sujet de film, obtenir les autorisations de tournage, faire les images, écrire le plan de montage, enregistrer le commentaire… Nous l’avions vu dans la Corne de l’Afrique: demander à des jeunes de faire un Paris-Dakar et un concours cinématographique à la fois était un peu irréaliste, même en autorisant les films de fiction comme solution de secours.

Conséquence: les membres des équipages ont dû se séparer dans neuf pays sur 22 (Inde, Nepal, Hong Kong, Costa Rica, Equateur, Pérou, Bolivie, Argentine, Chili), l’un prenant l’avion pour réaliser le film de la semaine dans la ville-étape suivante tandis que l’autre faisait la route en voiture. Personne ne l’a claironné pendant le Grand Raid et il a fallu faire quelques pirouettes pour justifier que les équipes se séparent, comme dans cet article Télé Poche (PDF – 3.7 Mo) du 5 mai 1985 qui présente une info… disons… incomplète:

« …guerres civiles et guérillas, avec leur cohorte de massacres, violences, terreurs, maladies, secouent depuis plusieurs années, dans la région le Honduras, le Salvador et le Nicaragua. Seul îlot de paix dans cette Amérique centrale : le Costa Rica. Mais, en dépit de tout ces obstacles, il fallait tout de même que les raiders passent; c’est la raison pour laquelle les équipages ont emprunté des itinéraires différents avec un seul objectif: arriver à Guayaquil via Quito, la capitale de l’Equateur. »

La véritable raison pour que les équipages se séparent en Amérique du sud était donc le manque de temps et c’était un des paradoxes du Raid, une réalité qui montrait les limites du genre. Je crois que les organisateurs en étaient conscients. Si je me souviens bien, il était d’ailleurs question que la formule qui devait prendre le relais en 1985-1986 (mais qui n’a jamais vu le jour), le « Raid Paris-Québec », allait compter deux équipages pour chaque chaîne concurrente, ceci afin de leur laisser deux semaines pour parcourir la distance entre les différentes étapes et présenter leurs films en alternance, une semaine sur deux.

Il y a quand même un bon côté à tout ça: je pense que le fait de séparer les équipes a donné lieu à des films plus percutants et personnels, d’une qualité souvent meilleure que les films réalisés en équipe. En effet, je me rappelle que Francis et moi avions de la difficulté au départ de faire un film à deux, avec un résultat qui ressemblait plus à une suite de compromis qu’à un véritable travail de création.

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Robert Bourgoing

Robert Bourgoing faisait partie de l'équipe canadienne avec Francis Lévesque. Il a réalisé et administre ce site et la page Facebook consacrés au Grand Raid. Retrouvez d'autres articles, photos et vidéos de ses voyages sur Bourgoing.com