L’itinéraire

Le monde s’est révélé d’une incroyable complexité aux trois avant-courriers chargés depuis des mois de le découper dans tous les sens pour étudier l’itinéraire de notre raid. Jamais autant accessible, suréquipé d’aéroports, transpercé de routes et d’autoroutes, le globe est sans doute rarement apparu aussi fermé qu’aujourd’hui.

Les guerres de frontières, les conflits régionaux, les luttes tribales, les pillards et les rançonneurs, les chrétiens et les musulmans, les militaires et les révolutionnaires, les Etats amis et leurs ennemis qui sont les ennemis de nos alliés et réciproquement, la folie des pouvoirs et la griserie des conquêtes ont rendu impraticables un grand nombre d’axes routiers. Nos trois avant-courriers, Guy Garibaldi, Pierre Godde et Pierre Balian, ont découvert qu’il était encore préférable d’affronter la neige, le vent, le sable, les tremblements de terre, les volcans, les glissements de terrain, les raz de marée et les typhons que les ministres médaillés issus de révolutions fantoches, passant comme des étoiles filantes au firmament des présidences usurpées.

Comment prévoir que tel passage négocié aujourd’hui sera valable dans cinq mois, quand un coup d’Etat aura transformé votre ministre de l’Information en un prisonnier anonyme ou en gardien de musées ?

Comment prévoir que telle zone frontalière calme aujourd’hui ne sera pas en ébullition le jour J et que tel passage ne sera pas rendu impraticable par une saison des pluies plus longue que prévu ?

Comment faire dévier le Raid dans ces cas-là, quelle solution de secours envisager, quel itinéraire bis improviser lorsque nos sept voitures seront en arrêt devant un précipice ou des barbelés fraîche­ment repeints ?

Comment se faufiler en Ogaden, en Amérique centrale, en Afrique du Sud ou au Chili, tout en conservant notre liberté de mouvement et de pensée ?

Ces pays et ces situations ont usé des dizaines de paires de chaussures, faisant régulièrement monter l’adrénaline de nos trois avant-courriers à des niveaux historiques.

De son arrière-grand-oncle Giuseppe Garibaldi, Guy n’a gardé ni la barbe ni le large chapeau, mais un goût immodéré pour les voyages. Lui n’organise pas « l’expédition des Mille » ni celle des « Chemises rouges », mais plutôt « l’aventure des quinze » à travers le monde.

Dès le mois de janvier, il s’était envolé pour établir les premiers contacts avec les autorités sud-africaines. Un jour à Pretoria, un autre à Johannesburg, deux au Cap. Pour Guy, tout avait été difficile : il n’avait aucune référence, aucune cassette à montrer. Le Raid n’existait que sur le papier. C’était un projet de quelques feuillets et non une émission qui avait déjà fait ses preuves. Ses interlocuteurs s’étaient montrés méfiants dès le départ. Cette histoire de voitures chargées de caméras et de magnétoscopes les intriguait quelque peu. N’était-ce pas tout simplement une nouvelle forme d’espionnage en règle ?

  • Si votre intérêt principal est de parler de l’apartheid, cela ne nous passionne pas !

La réflexion avait donné le ton de ce que seraient ces dix-huit mois de pourparlers, négociations, réunions, de Harare à Santiago, de Vancou­ver à Pékin, de Buenos Aires à Bombay. Guy et les deux Pierre devraient faire accepter le plus audacieux des paris aux gouvernements les plus divers, aux régimes les plus opposés.

 

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".