La vie après le Grand Raid

Que peut-on bien faire de sa vie après avoir marché sur la Lune ? C’est la question que pose Buzz Aldrin, l’un des deux premiers hommes sur la Lune (avec Armstrong), dans son livre « Magnificent Desolation ». A son retour d’Apollo 11, explique-t-il, son aterrissage ne s’est pas fait en douceur : alcoolisme, dépression, divorce. «J’étais préparé à devenir astronaute, pas un héros».

Comme pour Aldrin, je pense que  le retour sur Terre n’a pas été évident pour tous les anciens concurrents de la Course autour du Monde et du Grand Raid (à eux de me contredire…).

Quel équilibre retrouver après avoir été propulsé de l’anonymat des bancs d’école à la vie de starlette instantanée, bombardé de sensations fortes, de rencontres-clé, d’images inoubliables, d’anecdotes et d’histoires à raconter à ses enfants et petits-enfants, couverts de lettres parfumées et de mots doux (ceci concerne surtout les Suisses et les Monégasques…) ?

Comment un jeune ego peut-il survivre à tout ça ? Et comment envisager sa vie professionnelle quand on a commencé par ce qui devrait être son aboutissement, sa consécration, un rêve inatteignable même pour les plus grands professionnels du journalisme ou de la communication ?

Ego trip

Je me rappelle de cette séance photo un soir d’octobre 1984 dans la cour intérieure d’Antenne 2 à Paris, juste après la sélection finale des 10 « Raiders » dont je fais partie. Une cinquantaine de photographes, caméramen et journalistes surexcités nous crient de tourner et retourner la tête vers les flashes qui crépitent, comme pour la montée des marches à Cannes.

  • Hey ! Par ici les Canadiens !…
  • Non, par ici Francis et Robert !…

Assis sur le capot de la Citroën de Radio-Canada, derrière ma moustache d’ado, j’affiche le sourire et l’air détendu qu’on me demande mais sous la façade, j’ai une trouille bleue. Je me sens comme un canard, calme en apparence mais pédalant frénétiquement sous la surface. Tôt ou tard, je vais être démasqué, c’est sûr… Et qu’arrivera-t-il quand on se rendra compte que je ne suis pas Superman? Juste « un gars ben ordinaire » comme le chante l’autre Robert (Charlebois)?

La semaine suivante, à notre atterrissage dans la ville du Cap, point de départ du Grand Raid, même cirque: Simon Durivage, l’animateur-vedette du magazine télévisé Le Point, l’équivalent d’Envoyé Spécial au Canada, nous interviewe par satellite pour l’émission du soir.

Francis et moi allons être des petites vedettes et la réalité s’abat sur moi: le Grand Raid n’est pas qu’une aventure humaine, c’est d’abord et avant tout un show télévisé, une machine à faire rêver. En contrepartie de l’extraordinaire liberté qui nous est accordée de faire le tour de la planète aux frais de la princesse, il faut servir aux téléspectateurs ce qu’ils attendent: de l’aventure, des frissons, de l’exotisme, du divertissement. C’est un bien faible prix à payer pour le privilège qui nous est donné. On est encore loin de Loana et Jean-Edouard dans la piscine du Loft. N’empêche, je me sens tout petit dans mon costume de super-héros.

La télé a un drôle d’effet de loupe. Elle vous rend beaucoup plus grand que nature. Au retour du Raid, les demandes d’interviews et les invitations se succèdent, on vous reconnaît dans la rue, vous êtes une petite star couverte de compliments, pour la plupart non mérités. C’est un peu grisant. Et puis, peu à peu, les projecteurs s’éteignent et vous retournez à l’anonymat d’une vie normale.

Dans mon cas, il n’y a eu ni blues ni syndrome post-traumatique. Cette vie normale était une délivrance. Comme toute l’équipe, j’étais épuisé. J’étais aussi soulagé de quitter la « scène ». Le plateau hebdomadaire où j’avais quelques secondes pour « vendre » mon film, résumer les galères de la semaine, paraître sûr de moi, pouvoir répondre du tac au tac aux commentaires et questions des jurés, défendre des films souvent indéfendables, avec les mots justes, était un fardeau. Les Québécois ne sont généralement pas très doués pour les joutes verbales, et le star system, merci mais très peu pour moi…

La vie « à cent à l’heure »

Pour combler le vide laissé par le tourbillon du Grand Raid, j’ai beaucoup voyagé. Comme un accro, j’en voulais plus et j’ai choisi des métiers qui me permettaient de poursuivre dans la découverte: le journalisme, la communication pour une grande organisation internationale et la formation des médias africains. Comme d’autres, j’ai collectionné les pays, accumulé les rencontres, multiplié les expériences fortes et, à ce jour, déplacé mes atomes dans plus de 90 pays. C’était en partie, je crois, pour essayer de recréer l’ivresse de sensations fortes et d’expériences nouvelles que m’a procurée le Grand Raid.

J’éprouve une immense reconnaissance que la vie ait mis cette aventure sur mon chemin, d’avoir été “au bon endroit, au bon moment”, d’avoir eu l’audace de croire que je pourrais faire partie de la petite troupe d’élite: quel coup de chance inouï! J’ai toujours la même curiosité et le même goût du voyage mais je commence à croire que pour « vivre à 100 à l’heure », il faut surtout ralentir, qu’il n’y a rien d’autre que le fameux instant présent, et que l’équilibre ne se trouve pas dans une accumulation de plaisirs furtifs et d’exploits qui épatent la galerie mais dans le bonheur tout simple de partager ses découvertes et de faire de nouvelles rencontres, comme ce site permet de le faire.

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Robert Bourgoing

Robert Bourgoing faisait partie de l'équipe canadienne avec Francis Lévesque. Il a réalisé et administre ce site et la page Facebook consacrés au Grand Raid. Retrouvez d'autres articles, photos et vidéos de ses voyages sur Bourgoing.com