Le Raid débarque sur des millions d’écrans de télé…

Dimanche, 9 décembre 1984.

Les gestes se répètent dans leur vitesse. A peine arrivés, il faut repartir, ranger les malles, fermer nos bagages, mettre de côté quelques visages, un mot agrafé au fond d’une valise.

Dès six heures, nous partons pour la frontière kenyane, en empruntant la même route que celle de Philippe et Serge. Une route dans un état pitoyable, fissurée de toutes parts, boursouflée d’irrégularités et de dénivellations.

Dans un fossé, des hommes en sueur ramassent le chargement éclaté d’un camion qui s’est renversé sur son conducteur. Spectacle refrain de ceux qui n’avaient rien et qui ont tout perdu. Les routes sont dangereuses ici. Une seule seconde d’inattention peut être fatale. Sous nos pieds, nous sentons les jantes taper dans les trous. Invariablement, le choc est suivi d’un silence au cours duquel nous écoutons si le pneu ne chante pas… c’est-à-dire, s’il ne fuit pas.

Guy Garibaldi, Didier Regnier et Benoit Jacques au pied du Kilimanjaro

Ce soir, nous sommes enfin arrivés au pied du mont Kilimandjaro. Un soir pas comme les autres… Devant un feu de bois qui réchauffe notre petit refuge, je regarde Guy Garibaldi dont les lunettes noires reflètent les flammes jaunes. Il rigole sans rien dire. Je sais qu’il pense à la même chose que moi :

  • Dans une heure, Guy, c’est le générique de début !

Dans une heure en effet, la première émission du Raid est diffusée à l’antenne. Quelle angoisse !

Je crois que l’expédition a pris son rythme de croisière, maintenant. Petit à petit, les concurrents se sont mis dans le coup; ils cherchent leurs sujets plus loin qu’auparavant, multiplient leurs contacts.

Les filles ont bien remonté la pente après leur accident, les Canadiens travaillent dur, les Belges créent, les Suisses inventent, les Français hésitent encore un peu.

J’aime leur solidarité, présente à chaque kilomètre de piste, leur complicité dans le travail, leur générosité d’esprit qui ne les fait jamais compter. Antoine de La Garanderie aurait-il trop bien fait son travail ? Tout cela est positif, mais l’émission ? Comment va-t-elle passer à l’antenne ? Y aura-t-il suffisam­ment de téléspectateurs ? L’aventure que nous montrons est-elle réellement celle que les producteurs avaient envisagée sur le papier il y a plusieurs années ?

Ce soir, j’aimerais avoir un téléphone à portée de main pour écouter le générique, les remarques, les réflexions, les silences des téléspectateurs.

Au pied du Kilimandjaro, je m’endors en rêvant du cap de Bonne-Espérance.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".