Les mécanos, héros du jour

Jeudi, 3 janvier.

A sept heures tout est remis en place. Pendant la nuit, Jean-Pierre et René ont eu le temps de bricoler un palan, d’enlever le moteur, de changer l’embrayage, de remettre le moteur et de prendre une tasse de thé que le patron leur tend, étonné de découvrir une station-service en face de chez lui. Nous quittons la place à huit heures, prêts à avaler trois cents kilomètres de sable. Le moteur bout, le plancher brûle, le sable et la poussière volent dans la voiture. Il y en a partout.

Les mécanos Jean-Pierre Coppens (à gauche) et René Raguenès (à droite) avec l’équipe canadienne, Robert Bourgoing et Francis Lévesque, encore tous détendus, bien avant les pistes infernales du Kenya et de la Somalie.

Tout allait trop bien. La transmission de la voiture R.T.L., déjà bien endommagée par l’accident, lâche au milieu d’un oued. Heureusement, les deux zombies fatigués qui se trouvent à l’intérieur du Pinz s’arrêtent et remettent leur bleu de travail qui n’a même plus le temps de sécher.

En général, lorsque nous roulons en convoi, ce sont eux qui ferment la marche. Combien de fois avons-nous éprouvé la même joie en entendant le sifflement si particulier du moteur du Pinz ! Signe de sauvetage. Promesse de résurrection, la pièce pourrie allait être remplacée, le moteur allait de nouveau ronronner sans accroc. Et Jean-Pierre nous dirait, avec son air malin :

  • Attention, la prochaine fois, je ne vous dépanne pas!

Soixante kilomètres plus haut c’est à notre tour : un bruit à l’avant de la voiture vient briser tout espoir d’aller plus loin. Je me couche sous le moteur : de l’huile coule sur le sable. Je n’aime pas cela. La direction vient de lâcher. Nous attendons de longues heures les mécaniciens dont l’aménagement du temps de travail enverrait plus d’un député à la pré­ retraite ! Je fais rapidement mes calculs : il faut que je parte coûte que coûte dans les minutes qui suivent si nous voulons faire une émission après-demain. Au moins que quelqu’un soit là au micro, pour dire « Coucou! c’est nous ! enfin, c’est moi… ».

Un classeur sous le bras, mon duvet dans l’autre, je salue Benoît.

  • A samedi, à Djibouti. Essayez de recoller le plus vite possible. Moi je vais rejoindre les militaires dans la Land un peu plus loin, puisqu’elle a l’air de rouler pour une fois…

Vu du ciel, le Raid doit être superbe à voir. Sur une centaine de kilomètres, nos voitures, capots levés, parsèment le désert, immobiles, perdues dans l’immensité.

Du haut de la benne, assis sur un bidon d’essence, je découvre le désert. Les phares blancs de la Land accentuent les trous, découpent quelques buissons, frôlent le sable mou. L’air est frais. Je plaisante avec les militaires, nous échangeons quelques cigarettes. Soudain, après trois heures de route, j’aperçois un minuscule point perdu à l’infini.

C’est une lumière. Elle ressemble à une étoile. Celle qui guide les âmes perdues, quand il est très tard. C’est sans doute Zeila, le poste-frontière. Mais il y a au moins deux bonnes heures de route avant d’y parvenir. En regardant derrière, j’aperçois une autre lueur, jaune cette fois, très loin aussi. Une voiture du Raid, probablement. Faiblement la lumière cahote, disparaît, réapparaît, semble se rapprocher et se perd définitivement dans les ténèbres.

Devant nous, le point lumineux grossit lentement, très lentement. Nous roulons à présent sur un terrain blanchâtre, mélange de boue et de sel, dans lequel se réfléchit la lueur pâle de la lune. C’est superbe. Mais l’endroit est pratiquement impossible à franchir : de profondes ornières ont perdu des camions, couchés sur le côté, vidés de leurs occupants. Ceux qui arrivent s’élancent à toute allure sur cette patinoire, faisant craquer dans tous les sens leurs carcasses de bois. Ils glissent, se déséquilibrent, repartent, l’objectif prioritaire étant de ne pas s’arrêter.

Les Visa vont sans doute souffrir dans ce bourbier, ultime épreuve avant le contrôle de Zeila, où nous arrivons vers 21 heures. Sur la terrasse de la maison du gouverneur, un lit de nattes me tend les bras. Le ciel constellé d’étoiles découpe les ruelles du village et quelques ombres silencieuses. La ville s’est endormie, à peine agitée par les ondulations de la mer et les confidences du vent frais qui s’est levé.

Les jambes sont lourdes, le corps fatigué mais riche de ce soulage­ ment que procure le but atteint.

 

Nous sommes à Zeila. Nous avons avalé cette piste infernale.

Nous sommes passés. Avec de la casse certes, mais nous sommes O. K.

Demain, c’est Djibouti ; ce n’est plus qu’une question d’heures. C’est là, en face, et peut-être que Serge y sera.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".