En hélicoptère pour filmer le toit du monde

Robert est en bas, Benoît est en haut, dans la bulle d’un hélicoptère, pour filmer les montagnes.

A plus de 5 000 mètres d’altitude, l’engin se pose au monastère de Thyangboche ! Les petits moines accueillent l’équipe avec ravissement sur les premières marches du ciel. Tous ont le doigt tendu vers la grande pointe là-bas, qui crève le ciel. L’endroit est sacré, entièrement voué à la dévotion de « Celui qui est Parfait ». Ici, il ne faut provoquer la mort ni d’un être vivant ni d’un animal domestique. C’est un moment intact, épuré de tous les artifices. Un moment qui touche à la perfection.

Dans un froid glacial, l’hélicoptère s’élève, découvrant les moinillons qui nous saluent.

Enfin, il apparaît. Il est là, devant notre objectif, avec sa longue chevelure blanche qui égratigne le ciel… 8 848 mètres nous barrent la route. Le mont Everest ! Le toit du monde ! De chaque côté, la chaîne de l’Himalaya se déroule à ses pieds. Huit cents kilomètres de longueur versant népalais, avec dix des quatorze sommets dont l’altitude dépasse 8 000 mètres. La musique de leurs noms chante dans nos têtes : Everest, Makalu, Dhaulagiri, Annapurna, tandis que l’hélicoptère effectue un 360° spectaculaire !

Du haut de sa cabine, Benoît aperçoit la fameuse route reliant Katmandou à la forêt chinoise. Initialement, nous devions l’emprunter pour entrer au Tibet, mais son mauvais état, ajouté à la fermeture de la frontière chinoise, avait rendu ce projet irréalisable, au grand regret de Guy !

Assis sur son lit, il en est encore très déçu.

  • Tu te rends compte, entrer en Chine par le Tibet ! Et ce n’était rien à côté de ce que j’avais prévu : au départ, je voulais accrocher chaque voiture sous un hélicoptère. Est-ce que tu imagines sept hélicoptères passant du Népal en Chine, avec nos voitures se balançant au-dessus de l’Himalaya ! Grandiose ! Génial ! C’était Apocalypse Now !

Guy éclate de rire, en s’étouffant avec la fumée de sa trentième cigarette.

Avec lui, nous avons toujours fait de la surenchère. Pour le plaisir de rêver, de toucher du doigt le déraisonnable et l’interdit. Nous nous sentons bien, très bien dans cette émission qui nous fait bouger, foncer, créer, élaborer, résoudre cent mille problèmes à la fois.

Pour cette heure du dimanche soir, rien n’est assez beau, rien n’est assez fort, rien n’est assez rapide, ce qui contrarie un peu notre photographe Gauthier Fleuri, rêveur devant l’Eternel. Avec sa longue écharpe patinée par la poussière, et ses trois appareils en bandoulière, il est toujours en retard d’un fuseau horaire. D’abord parce qu’il ramasse des petits bouts de terre et de cailloux pour une collection inédite ; ensuite, parce qu’il veut prendre le temps de vivre en traînant son regard tendre à chaque coin de boui-boui. La moyenne horaire, les étapes, les tournages, la diffusion passent bien après le contact privilégié qu’il peut avoir avec les autochtones à leur table, ou dans leur maison.

Légaliste, il respecte notre slogan : « Le programme avant tout ! », mais en son âme et conscience, il est convaincu du contraire et préférerait faire passer tout avant le programme : le clin d’œil d’une femme, le sourire d’un enfant, la nuit africaine, la lune renversée, le thé sur le bord des routes, les brochettes sur la braise, le vieil homme ridé qui raconte la vie sans en parler, la foule anonyme des baladins qui lui prennent le temps, l’amitié et l’amour sans qu’il puisse s’en. défendre. Il sourit sans le savoir en cultivant ses jardins secrets qui le perdent un peu et nous le rendent très tard, bien après les génériques. Sa naïveté sans limites nous a permis de lui raconter une incroyable histoire.

Cela se passait à Pokhara, devant un feu de bois, il y a trois jours à peine. Guy et moi avions pris des mines de circonstance. Guy ouvrit le feu.

  • Tu sais, Gauthier, nous sommes très embêtés… parce que le Raid va s’arrêter. Il est question que tu rentres à Paris.
  • Ah bon, c’est vrai ?
  • Oui, il y a de gros problèmes d’argent. Notre seule chance, c’est qu’un sponsor vienne nous sauver. La marque « Philasester » à l’orange, le jus sans bulle, est sur le coup…

Gauthier nous regardait, catastrophé, bouleversé.

  • Pour s’en sortir, il faudra faire de la publicité. Nos voitures seront peintes en orange ; un concours sera organisé, dont les prix consisteront à envoyer des charters de couples âgés sur le Raid. Ils resteront une semaine avec nous et vivront dans notre intimité. C’est un peu dur, mais nous ne pouvons faire autrement…

Gauthier glissait lentement sur sa chaise, complètement effondré. Cela marchait trop bien. Nous avons poursuivi le tir, clins d’œil à l’appui.

  • Ton agence ne t’a pas prévenu que tu rentrais ?
  • Non… et quand ?
  • Après-demain !

Cette fois, Gauthier avait définitivement mordu à l’hameçon. Et comme, avec Guy, nous aimons bien entretenir un climat d’espionnite aiguë dans l’équipe, évoquant des complots, règlements de compte et détection d’agents doubles en tous genres, nous lui avons demandé pour qui il travaillait, quel était son « contact » à Paris, et combien de rapports il avait déjà envoyés là-bas. Gauthier répondait à chacune de nos questions avec le plus grand sérieux. Ne tenant plus en place et voyant sa carrière s’achever dans le quart d’heure, il s’était levé, avait ouvert la porte de la réception et demandé au patron une communica­tion pour Paris. L’homme, à moitié endormi, avait eu du mal à réaliser : « Appeler Paris… d’ici ?… Il faudra attendre au moins deux heures ! »…

Gauthier , abattu, répondit : « J’attends… c’est urgent… ».

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".