A l’assaut de la Corne de l’Afrique

Bien sûr, Guy Garibaldi avait essayé d’envisager un passage par l’Ouganda. Son voyage de repérage se présentait bien, puisque dans l’avion qui le menait de Nairobi à Entebbe, il avait rencontré une équipe de C.B.S. Des gens sympas qui partaient filmer la folie au quotidien, dont quatre Européens venaient de faire les frais dix jours auparavant.

Mais, une fois arrivés à l’aéroport, ils n’avaient jamais pu franchir le contrôle de l’immigration. Il leur fallait une accréditation du ministère de l’Infor­mation. Les discussions s’étaient alors engagées sous les réacteurs du Boeing qui attendait de repartir au Kenya ! Rien n’y a fait : ni la danse du ventre, ni le coup de téléphone à l’ambassade de France. Les militaires avaient bloqué l’avion sur la piste pour réembarquer ce quarteron d’agitateurs. Quand Guy avait de nouveau atterri à Nairobi, il n’avait plus de visa et dut coucher à l’aéroport, un peu énervé quand même !

Le Kenya s’était donc présenté comme une étape indispensable, obligatoire, pour continuer notre route vers le nord.

  • C’est vrai, monsieur Garibaldi, nous faisons commerce avec l’Afrique du Sud, mais cela nous gêne beaucoup que votre raid parte de là-bas…

Le secrétaire au Tourisme était un peu honteux d’avouer cette liaison coupable à Guy. Le ministre de l’Information, quant à lui, avait opposé un refus catégorique à Guy : « Votre raid ne passera pas chez nous ! » ; puis il était revenu sur sa décision « à condition qu’au cours de votre émission, vous ne prononciez pas le mot : Afrique du Sud »!

Lorsque je rentre dans ma chambre, elle est occupée… Trois lapins nains sont vautrés sur mon lit. Ils ont marqué leur nouveau territoire comme ils le pouvaient : voilà pourquoi la grande couverture est auréolée d’une carte d’Afrique, avec odeurs en prime…

Malgré l’absence de revendications, l’acte est signé. Je vais remercier Guy dans sa chambre pour cette délicate attention. Nous rions pendant de longues minutes. Selon une tradition bien établie maintenant, il me met le doigt dans l’oreille en signe de ralliement et me dit :

  • Fais attention, tu as un bouton, là ! avant de me mettre son deuxième doigt dans l’œil…

Je vais le regretter, Guy, c’est sûr. Malgré les apparences, le climat est moins détendu ce soir. Dans quelques heures, en effet, nous allons aborder notre premier grand virage : celui de la corne de l’Afrique. Un passage particulièrement difficile à établir pour notre deuxième avant-courrier Pierre Godde arrivé ce matin à Nairobi.

Corne de lAfrique

Pendant des semaines, il s’est penché sur la carte pour en remuer tous les pays, pour en étudier toutes les pistes, indiquées ou pas, pour en exploiter toutes les failles. Devant cette région « chaude », le problème qui se posait était de savoir par où on pouvait faire passer le Raid.

Plusieurs solutions s’étaient présentées à Pierre.

La première passait par le Soudan, l’Egypte, via Louxor, et Israël. Les terrains sont difficiles au niveau militaire et les problèmes d’essence importants. De toute façon, la guerre au sud-Soudan nous aurait amenés à organiser un pont aérien entre Nairobi et Khartoum.

Deuxième solution, plus à l’est : l’Ethiopie. Là aussi, les pistes sont mauvaises et les problèmes politiques ne seront sans doute pas résolus d’ici le passage du Raid…

L’Ouganda passe son tour.

Restait la Somalie : le pays est en guerre contre l’Ethiopie, mais il n’est pas fermé. Pierre, bien sûr, a cherché à obtenir des informations.

A l’ambassade de Somalie en France, on avait répondu : « Il n’y a pas de problèmes chez nous », tandis que certains experts du Moyen- Orient du Quai d’Orsay affirmaient, plus nuancés : « Ça ne bouge pas trop. » Enfin, à l’ambassade de France en Somalie, la réponse avait été plus tranchée : « Non, surtout ne venez pas ! »

Pierre Godde n’avait plus qu’à partir pour se rendre compte lui-même, ce qu’il fit au mois d’août.

Lorsqu’il atterrit à Nairobi, il s’entend dire : « Non, monsieur, ce n’est pas possible d’aller en Somalie en avion ! » Pierre, à qui il en faut plus pour rebrousser chemin, prend un bus, monte vers Garissa, passe la frontière où les douaniers mettent la main sur ses San Antonio et les revues soviétiques qu’il a ramassées dans l’avion de l’Aéroflot !

Le voyage n’en finit pas. La chaleur est écrasante, le car tombe sans arrêt en panne. Pierre arrive enfin à Mogadiscio, rencontre le ministre de l’Information qui lui dit :

  • Non, il n’est pas question que le Raid passe ici ! Nous ne faisons plus confiance aux journalistes français !…

Ce qu’apprend incidemment Pierre, c’est que les très belles « Lettres de Somalie », tournées ici par Frédéric Mitterrand, n’avaient pas été appréciées par les responsables politiques du pays. Le film était beau, mais certes critique à l’endroit du gouvernement somalien, ce qui n’avait pas plu à tous les étages des ministères. Il fallait redresser l’image des journalistes français de toute urgence. Pour faire admettre et passer le Raid, Pierre doit alors s’ériger en avocat de la défense pour artistes incompris et expliquer, séquence après séquence, un film qu’il n’a jamais tourné !

« C’est de la poésie ! » leur dit-il. Pendant de longues minutes, il joue tout sur cette plaidoirie improvisée, au milieu des couloirs crasseux du ministère. On l’écoute. Et soudain, le projet intéresse les Somaliens.

Outre la guerre, le plus gros problème à résoudre était celui de l’essence, car il n’y a pas d’essence en Somalie. Le pays est en banqueroute et reçoit de façon aléatoire quelques tankers envoyés au hasard des marées par l’Arabie Saoudite. Sur place, à Mogadiscio, les ambassades la font venir de Djibouti : c’est donc de là que Pierre pense acheminer des bidons le moment venu, pour faire avancer le Raid. Avec de gros risques de vol en cours de route.

Sur les bords du lac Naivasha, au nord de Nairobi, Pierre Godde ne cache pas son inquiétude devant les caméras :

  • Ce soir, nous ne savons pas si nous allons réellement pouvoir traverser la Somalie. Les nouvelles parvenues du Nord ne sont pas très bonnes. Il a plu pendant plusieurs jours et les frontières sont fermées. En cas d’obstacles majeurs, l’ultime solution sera de faire demi-tour sur Mombasa et d’embarquer les voitures sur un bateau, direction Djibouti.

Cette solution ressemble à un échec. Elle me fait peur. Je n’ose pas imaginer que nous puissions revenir en arrière, même si les circons­tances l’imposent. Il faudra avancer coûte que coûte. Je ne sais pas par où, je ne sais pas comment. Mais j’espère que le soleil y mettra du sien, que les voitures vont voler, que les vents vont nous être favorables et les dieux pleins de compassion.

Le Raid doit passer.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".