L’arrivée en Tanzanie

L’astre rougeoyant a émergé derrière les bananiers. Il est six heures. J’aime ce moment calme où il faut ranger ses affaires, s’asperger de quelques gouttes le visage, grignoter un bout de pastèque et repartir. Aller en avant, vers ce que nous ne connaissons pas ; et en ressentir déjà les vertiges bienfaiteurs. Avaler les kilomètres les uns après les autres, avancer sur la carte, emmagasiner des souvenirs. Bouger, agir, ne pas s’arrêter. Ne pas regarder en arrière.

  • On y va, Benoît ?

Nous quittons les raiders que nous retrouverons à Dar es-Salaam, notre prochaine étape.

L’obsession de la journée sera encore la recherche de l’essence. Nous avons très peu d’argent, car les banques sont rares en brousse. Par contre, nous avons des bons d’essence qui pourraient servir de monnaie. Mais les discussions avec les pompistes n’en finissent plus : « Oui, j’ai de l’essence, non je ne veux pas de vos bons ; non, notre société n’est pas au courant de votre rallye. Oui, il faut payer avec de l’argent tanzanien, parce que, ici, monsieur, vous êtes en Tanzanie. Et si j’accepte vos bouts de papier, moi, je vais en prison, monsieur ! »

Enfin, à Iringa, nous découvrons une station plus importante que les autres, dont le chef avait reçu l’information clef des dix dernières années : « Echangez votre essence contre les bons que vous remettront quinze candidats roulants non identifiés ».

Ce pays est beau. Superbe. C’est une succession de verts qui donnent à la nature une harmonie parfaite. Ici, tout respire le calme et le bonheur de vivre. Les maisonnettes parsèment la brousse avec une certaine discrétion, comme si elles ne voulaient pas la déranger. Paysages de vallons et de plaines, d’où émergent des bananiers croulant sous leurs chargements. Sur le bord de la route, les enfants nous saluent avec de larges sourires, repris en échos par leurs mères, belles, gracieuses, apparitions fugitives que le soir tombant rend attirantes…

Dar es-Salaam nage dans un bain d’humidité. La route s’infiltre dans les quartiers en désordre et longe l’océan Indien sur plusieurs kilomètres. Là-haut, un croissant de lune découpe religieusement un minaret d’où s’échappe l’appel mélancolique d’un muezzin, tandis que du ciel se dégage comme une lueur orientale.

Marché de nuit à Dar-es-Salaam (source: bit.ly/32RsaaH)

Je me demande où est passé Guy Garibaldi. Sans doute négocie-t-il encore quelque droit de passage dans un bureau sans fenêtres ni porte. De son repérage à Dar es-Salaam, il a gardé « la plus horrible des percep­tions ». Une chaleur écrasante, une nourriture infecte, une chambre sans eau mais truffée de cafards ! Il avait essayé de rencontrer le ministre du Tourisme, mais celui-ci avait refusé de le voir. Après quatre jours d’attente, Guy, énervé à souhait, avait forcé la porte de son bureau sans prévenir. Le ministre, surpris, n’avait pas très bien pris la chose :

  • Quand je viens à Paris, monsieur Garibaldi, j’attends quinze jours pour obtenir un rendez-vous !
  • Mais, monsieur le Ministre, je vous ai prévenu depuis six semaines ! avait répondu Guy, avant de lui expliquer que son pays allait être envahi par les Blancs !
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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".