Zoom sur Querétaro avec Bernard Pivot

Vendredi, 19 avril 1985.

Dans la cour du palais fédéral de Querétaro, les mariachis en pantalons noirs à clous argentés donnent de la voix en grattant leur guitare tandis que les danseuses aux yeux tendres agitent leurs rondeurs sous les regards croisés des candidats qui grimpent aux murs. L’ambiance chauffe. Soudain, du petit haut-parleur, s’élève la voix de Bernard Pivot, le grand témoin d’aujourd’hui.

  • Bonjour, Didier ! Savez-vous ce qui s’est passé à Querétaro ?

Révisant en un éclair de temps mon prospectus d’histoire, je réponds sans faiblir :

  • Oui, c’est ici que l’empereur Maximilien d’Autriche a été assassiné en 1867. Voulez-vous parler maintenant avec les candidats ?
  • Oui, passez-les-moi !

Bernard Pivot, toujours curieux, est passionné par l’émission. Ce contact entre l’invité et les équipages, je l’ai voulu dès le départ. Même s’il n’est pas facile à organiser au milieu des répétitions, il me semble indispensable pour mieux évaluer les conditions dans lesquelles ont été tournés les sujets. Cette absence de relations a creusé de semaine en semaine un fossé, devenu important maintenant, entre eux et les jurés parisiens « peu crédibles », venant les juger une heure par semaine « sans même nous demander si la route a été bonne, s’il fait beau ou si nous avons déjà préparé la prochaine étape » !

Bernard Pivot se régale, se délecte, ne perd pas une miette de ce festin d’images, demande à Alexandre comment ça s’est passé avec les femmes de Las Vegas, et dit à Serge, à propos de son film consacré aux Américains qui vont se faire enterrer dans l’espace : « Vous faites la démonstration qu’après la mort, on peut encore s’envoyer en l’air ! »

Dans ma chambre, le « superviseur » promis par la télévision est là. Un petit homme silencieux qui a le sourire difficile. Je n’aime pas cette situation. D’abord, elle me rappelle de mauvais souvenirs, ensuite elle est susceptible d’engendrer des conséquences plutôt fâcheuses. En effet, la censure s’effectue rarement là où on l’attend ; les rats du Qatar en ont fait la triste expérience ! C’est pour cela que je profite d’un moment d’inattention où il regarde par la fenêtre pour aller cacher une cassette du récit-étape dans le cabinet de toilette. Elle ne contient rien d’explosif, loin de là, seulement quelques plans de mendiants couchés sur les trottoirs, ceux-là même que les autorités d’un pays n’aiment pas voir diffusés sur les écrans du monde entier, « parce que chez nous, tout est beau et propre ». Dans notre esprit, il s’agit simplement de montrer une réalité parmi d’autres ; dans le leur, c’est une provocation, une calomnie que l’on doit arrêter à la base, c’est-à-dire avant l’expédition sur Paris. L’homme visionne en silence, nous ponctuons chaque cassette de discussions aimables et nous nous mettons en travers du chemin menant aux toilettes, tout en évitant de lui proposer à boire… Enfin, le superviseur scelle le paquet jaune, à moitié seulement… de quoi réceptionner de tardives cassettes.

avatar

Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".