Zoom sur la Cité Interdite

Mardi, 12 mars 1985.

La nuit a été courte. A huit heures, les équipages se séparent pour aller tourner leur dernier sujet chinois. Il fait beau et froid. Le soleil éclaire d’une lumière douce les rues de la capitale. Pékin est là, devant nous. Un monde qui n’a rien à voir avec la Chine que nous venons de traverser.

Les femmes passent comme des mannequins dans de longs manteaux, le rouge à lèvres incendie leurs visages souriants. La publicité s’étale partout : pour les appareils vidéo, les transistors, les tracteurs dernier modèle. Les vitrines sont chargées de biens de consommation, les CX font les taxis, Maxim’s a pignon sur rue. Et le Chinois, tout sourire, s’approche de vous pour dire: « Ah ! la France, je connais bien ! De Gaulle et Platini ! » Le pays, incontestablement, a retenu nos valeurs essentielles et s’ouvre chaque jour aux « bienfaits » de la civilisation occidentale : jeans et coca à profusion sur fond de chansons rock, laissant à la dérive les révolutions de la bande des autres.

Elle est là, devant nous. Aussi belle que sur les photos. La Cité interdite nous est enfin permise. Sauf pour Benoît dont l’état de santé n’est pas brillant. « Tu sais, je ne peux pas filmer, me dit-il, je grelotte et je me sens très faible. » Benoît ne va pas bien. Nos quatre mois de marathon l’ont épuisé. Il a du mal à se lever, à courir, à filmer. Il est pâle et a terriblement maigri, ce qui laisse présager quelques problèmes pour la suite. Benoît rentre à l’hôtel tandis que je prends la caméra pour découvrir ce joyau baigné dans la lumière dorée de ce matin d’hiver.

A l’intérieur, tout est calme. C’est une succession de petites cours, de palais et de temples. Les Chinois s’y promènent dans un silence religieux.

Le Palais impérial fut construit sous les ordres Yang Le de la dynastie des Ming entre 1407 et 1420. Il n’est pas difficile d’imaginer l’empereur lorsqu’il recevait ici les soldats victorieux qui rentraient de la guerre.

La Cité interdite est une succession de palais, d’escaliers en marbre, de salles étincelantes. C’est là que se déroulait l’intronisation de l’empereur, c’est ici que l’on rendait publique la liste des candidats reçus aux examens impériaux. Pavillon de la Tranquillité céleste, palais de l’Harmonie suprême, palais de l’Union. Le raffinement des temples se reflète dans les allures distinguées des visiteurs : un Mongol et sa femme passent sans faire de bruit. La Cité m’apparaît comme un dédale de portes et de couloirs, de salles cloisonnées et d’espaces fermés. Reflets superbes en rouge et en or des excentricités et des frivolités impériales. On imagine tout un monde d’intrigues, façonné de jalousies et de rivalités de palais. Ces jardins et ces cours isolés devaient de temps en temps ressembler à une prison. J’ai l’impression que la Cité est devenue encore plus silencieuse d’être devenue un musée encore plus clos.

C’est le temps pour les Pékinois d’une halte, d’une promenade en famille, d’un arrêt calme au milieu d’une ville calme. Sans parler, ils sirotent des jus de pomme dans des petits berlingots ou se font prendre en photo devant les premiers brins de jasmin. Il y a une extraordinaire douceur dans leurs attitudes, un calme prenant qui vous donne envie de prolonger le moment. Les promeneurs sourient, un homme parle à l’oreille de sa femme, un enfant essaye de marcher malgré le manteau trop long qui lui couvre les pieds, un militaire embrasse sa fiancée devant les fleurs, les cerfs-volants papillotent dans le ciel, les vendeurs de pommes d’amour ou de thé brûlant haranguent les passants.

C’est une lente respiration, comme le bonheur tout simple de se retrouver. Ensemble ou seuls, gardiens pour quelques minutes de leur liberté intérieure.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".