Un train pour le ciel, un défi à la montagne

Jeudi, 2 mai.

Au premier étage des bureaux d’ Enafer, le directeur de la S.N.C.F. locale écoute nos doléances avec attention. Derrière lui, sur le mur, un graphique se tortille dans tous les sens pour marquer les différentes altitudes auxquelles passe le petit train.

  • Nous voulons bien remettre le train de voyageurs en route pour votre film, mais les villageois ne le sauront pas. Laissez-nous quand même le temps d’aller placarder des affiches dans toutes les gares, pour leur annoncer que le train fonctionne à nouveau !

Nous relevons le défi. Demain, le train escaladera la montagne, avec plus ou moins de passagers. Mais il sera là, comme au bon vieux temps, pour animer l’altiplano de son serpentin jaune et rouge. Dès qu’Alain Margot sera rentré ce soir du Macchu-Picchu où il tourne un nouveau Rackham, je lui demanderai de couvrir cette scène du récit-étape. D’abord parce qu’il filme remarquablement bien et ne renâcle jamais à participer à l’ouverture du programme; ensuite parce que je serai moi-même « en train » d’enregistrer l’émission.

L’histoire de cette ligne est plutôt extraordinaire.

A son origine, un véritable fou : Henry Meiggs, traqué par les créanciers de San Francisco à travers tout le Pacifique. A la fin du XIXe siècle, il était venu se réfugier en Amérique latine pour construire cette ligne en employant de la main-d’œuvre chinoise. Un véritable défi à la montagne. Lorsque j’avais demandé au contrôleur d’où venaient tous ces passagers, il m’avait dit : « Oh ! ils vont de marchés en marchés. » Et puis, il avait ajouté, un peu triste : « Mais aujourd’hui, ils descendent tous à Lima pour trouver du travail et cela ne se passe pas toujours très bien. »

Cerro de la Pasco, La Oroya, Huancayo, Huancavelica, les noms chantent au rythme du rail. Lorsque le train passe au col du Ticlio, à 4758 mètres d’altitude, tous les nourrissons se mettent à hurler au même moment comme s’ils s’étaient donné le mot. Alors, du fond du wagon apparaît un homme en blouse blanche qui porte une grosse bonbonne d’oxygène. Il s’approche des petits becs ouverts, ouvre le robinet et redonne vie à ceux qui ont perdu leur respiration comme une mère donnerait le sein. L’agriculture abandonnée, les menaces des extrémistes du Sentier Lumineux, la répression sans faille des militaires ont facilité l’exode vers la capitale. C’est le train du dernier voyage, la ligne des espoirs déçus.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".