Terminus dans la ville la plus australe du monde

Mercredi, 12 juin

Le jour s’est levé, mettant un terme aux recherches qui se sont poursuivies une bonne partie de la nuit, sans résultat. « Il est difficile de survivre plus de quarante-huit heures ici », me confie le mousse dont le regard accroche les premières maisons d’Ushuaia.

Mon coeur bat très fort ; cette fois, c’est le bout du bout. Nous naviguons au milieu du célèbre canal de Beagle que Chiliens et Argentins se sont disputés pendant presque un siècle, nécessitant l’arbitrage papal de Jean-Paul II pour arriver à un accord.

A 17 heures, le bateau accoste enfin à Puerto Williams, la ville la plus australe du monde. Sur le quai, des dizaines de marins chiliens nous attendent. En quelques minutes, nos voitures sont déposées à terre par une grue. Notre dernière terre, à quelques kilomètres du cap Horn, la terre du bout du monde. J’ai du mal à réaliser que tout finit ici, que ces hommes vont nous faire la haie d’honneur ; que demain, à l’antenne, je dirai « au revoir » pour de bon, qu’après-demain, je ne tournerai plus de récits-étapes. J’ai du mal à me dire que les espaces sans fin de la Terre de Feu vont devenir une prison. Puerto Williams n’est pas vraiment une ville. C’est un ensemble de maisons aux couleurs vives, s’agrippant à des collines qui surplombent le petit port. De là-haut, les mille deux cents militaires de la flotte chilienne peuvent surveiller le canal et dormir tranquilles : l’ennemi ne viendra pas.

Sur le bord de la route, j’aperçois les filles. Elles enregistrent leur dernière séquence à bord de la voiture et racontent que « c’est fini, que c’est triste et voilà »…

Mais, pour une fois, la voiture n’a rien à répondre. Je monte dans ma petite chambre d’hôtel, allume le chauffage d’appoint, ouvre mon grand bloc et regarde, une dernière fois, les images du récit-étape celles du Rio Cisnes.

Le lit me paraît trop confortable ce soir. J’ai envie d’aller coucher dehors, de me perdre dans le noir, de ne plus entendre parler de tout cela. Dans ce vertige d’images qui me reviennent en tête, j’aperçois des routes embrumées, des déserts accueillants, leurs mains tendues et leurs bouches qui prononcent des mots que je ne comprends pas. C’est le défilé des flash-back pour un moment encore, avec la certitude que les choses se sont accomplies, devenues irréversibles dans leur enchaînement.

avatar

Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".