Dimanche, 24 février.
Cette nuit, Platon et Pierre sont venus coucher dans ma chambre, plus chaude que les autres car les fenêtres fermaient bien.
A sept heures nous avalons les nouilles et les boulettes de viande dans la salle du bas, grande et glaciale elle aussi. Devant nous 380 kilomètres, la pluie et la montagne qui s’est isolée dans la brume, rendant notre progression encore plus lente que la veille.
En descendant, juste après un virage, un paysan m’interpelle. Il me montre du doigt la montagne et fait un long discours auquel je ne comprends rien. A nouveau, son doigt se dirige vers les hauteurs. Je regarde en arrière, découvrant la route en lacets que nous venons de descendre et puis, soudain, en contrebas, dans le ravin, une tache noire.
« Bon sang, c’est une de nos voitures ! » Je n’en crois pas mes yeux. Cette fois, c’est trop. L’Acadiane a dégringolé le long de la pente et s’est retournée sur le toit, les quatre roues en l’air. J’ai très peur car ces voitures ne sont pas équipées d’arceaux de sécurité et je me demande ce que l’on va trouver à l’intérieur.
Le véhicule est tombé d’une dizaine de mètres et déjà des candidats s’affairent autour de la carcasse pour la vider de son contenu. Avec Benoît et Pierre, nous courons à travers les rizières détrempées, suivis par des Chinois sortis d’on ne sait où.
- C’est quel équipage ?
Alexandre me répond : « C’est nous, tout va bien. »
Par miracle le toit est tombé à cheval sur un canal d’irrigation évitant à la voiture de s’écraser.
En bégayant deux fois plus que d’habitude, Alain Margot, le visage pâle, raconte qu’il commençait à sortir du virage lorsque « la voiture a mor-mordu sur des gra-graviers et a commencé à dé-déraper. J’ai j’ai tout fait pour la re-redresser… mais elle a bascu-culé ».
Alexandre, qui dormait, s’est réveillé en sursaut tandis que Jean-Claude Freydier, devinant la suite des événements, avait essayé de faire contrepoids comme sur un voilier en perdition. « On s’est dit que c’était fini », raconte Jean-Claude, encore plus blanc que Margot.
Les Chinois ne sont plus jaunes. Ils sont blancs eux aussi. Inquiets. Pas contents. L’organisation donne de l’aile. Le programme est bouleversé. Que vont dire les supérieurs, la police, China Sports Service, les ambassades, le gouverneur de la province ? La belle Valentine ne sourit plus quand Georges la regarde, et Huan, surnommé Grâce, en a perdu son rire « chevalin » qui faisait notre bonheur depuis le départ. Nous sommes gênés, trouvant que l’addition commence à être lourde.
C’est le quatrième accident en quatre mois et à ce rythme-là, il y a de grandes chances pour que nous ne finissions pas le Raid.
Dans notre malheur, je me dis que nous avons beaucoup de chance. D’abord la voiture est tombée « en suspens » au-dessus de ce providentiel caniveau ; ensuite, nous n’avions amarré sur le toit ni les bidons d’essence ni les malles comme nous voulions le faire pour dégager l’intérieur des voitures. Ce chargement aurait enfoncé la toiture lors du choc et sans doute écrasé l’habitacle du véhicule.
Alexandre, Alain et Jean-Claude se répartissent dans les autres Acadiane et nous repartons encore plus lentement que ce matin, abandonnant notre véhicule à son curieux destin, au fond d’un ravin.
Au bout de trois jours sous la pluie, nous arrivons à Changsha, une petite ville d’un million d’habitants, partiellement reconstruite en 1952, après la dernière guerre sino-japonaise dont les guides ne manquent jamais de dénoncer les ravages. Mais le véritable intérêt de la région se situe à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de la ville, dans un petit village appelé Shaoshan.
Laisser un commentaire