Qatar: on disait « la Terre oubliée de Dieu »

23 janvier

Au début, il n’y avait que le désert, fait de sable et de vent. On disait du Qatar qu’il était la « Terre oubliée de Dieu ».

Et puis, un jour, il y eut le pétrole. Allah avait bien fait les choses. La crise en Europe, le pétrole au Qatar. La révolution de « l’or noir » a bouleversé le pays et fait pousser les palaces là où il n’y avait que du sable. Adieu la pêche aux perles, adieu les chameaux !

Nous sommes étonnés ici, car, pour la première fois depuis notre départ, les mythes ont rejoint la réalité.

Tout est en place, tout correspond à ce que nous avions lu, vu et entendu. Des hommes du désert à qui la crise a profité. Symbole de cette explosion économique : la voiture. jamais assez belle, jamais assez grande, jamais assez luxueuse. Aujourd’hui, le pôle d’attraction se situe au cœur du gigantesque hôtel Sheraton, où l’on inaugure une exposi­tion automobile.

Sur fond de musique et de lumières clignotantes, Buick rivalise avec Toyota, Chevrolet fait de l’œil à Mercedes. Les Qataris déambulent, les poches gonflées de dollars. Arrive alors le ministre des Transports, un petit homme qui sourit à droite, à gauche, en trottinant sous son keffieh. Il essaie toutes les voitures que ses acolytes lui proposent du doigt. Sa mine réjouie fait plaisir à voir, se déforme de joie dans les enjoliveurs chromés, s’embrase de rouge devant les diodes d’une chaîne stéréo qui traverse tout un tableau de bord ! Il ne sait plus quoi regarder, ni acheter, ni où courir pour se renseigner. Tout est cher, donc beau.

La révolution est passée, oubliant un peu ses enfants. Pays ayant eu longtemps le plus haut niveau de vie par tête d’habitant, le Qatar présente un double visage. Derrière le pétrole, les hôtels, les voitures, il y a les ruelles poussiéreuses, désordonnées, et les odeurs de l’Orient tout proche. Les visages aussi : ceux des Indiens, des Afghans, des Pakistanais. 80 % de la population sont des travailleurs étrangers. C’est sur eux que se construit le Qatar, et son fantastique programme d’industrialisation.

Lorsque je rencontre Abdul dans la rue, je lui demande de nous montrer son pays, et tout ce qui est beau pour lui, ce qui compte, ce qui est important. En quelques minutes, sa Mercedes à persiennes et vitres teintées sort des faubourgs de Doha, laissant la place au désert. Notre sortie ressemble à une visite d’usine : pas de montagnes, pas de panoramas avec vue sur la mer, mais à chaque kilomètre, son doigt se tend vers des derricks :

  • Nous en avons pour plus de trente ans, et puis, là, c’est du gaz ! Car, après le pétrole, il y aura le gaz !

Dans son rétroviseur panoramique, je le vois sourire. On dirait que tout cela lui appartient. A chaque station-service, c’est la valse tranquille des chiffres : un compteur défile rapidement, celui des litres, l’autre semble avoir un cran de cassé : celui du prix. Deux francs le litre ! Un peu cher, ces derniers temps ! Lorsque je demande à Abdul ce qui est important pour lui, il répond en souriant tranquillement :

  • Ce qui est important, ce n’est pas d’avoir de l’argent. C’est d’être heureux ! Ce n’est pas parce que l’on a une voiture, une maison, de l’argent, que l’on est heureux…

Ensuite je veux savoir ce qu’il pense de la crise en Europe. Il me regarde alors sans répondre et se croise les bras, en ayant l’air de chercher une réponse… qui ne vient pas. Sait-il seulement qu’il y a une crise en Europe ?

Que ce soit dans la capitale ou dans le désert, tout finit par rejoindre l’Islam. Abdul nous abandonne à notre triste sort d’Européens sans pétrole, mais avec des idées ; pour aller se prosterner vers La Mecque, sur fond de sable et de fumées prometteuses. Il y a de quoi remercier Allah pour cette manne qui a propulsé le pays sur le devant de la scène mondiale, et de quoi lui demander encore protection dans ce monde si troublé là-bas, et si confiant ici.

Les fils du désert ne sont plus orphelins.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".