Dimanche, 17 février.
Ici, il n’y a plus de place. En bas, les encombrements, les périphériques, les passages souterrains ; en haut, les fenêtres des immeubles serrées dans un alignement parfait, avec le linge qui sèche et les cages à oiseaux. Dans une seule pièce peuvent ainsi s’entasser trois, quatre, six voire huit personnes, les loyers étant cinq à dix fois plus élevés qu’en Occident.
Il n’y a pas d’espace non plus pour les voitures : d’ailleurs, les habitants vont au travail en bateau pour relier quelques- unes des 235 îles sur lesquelles est bâtie Hong Kong. La foule est insaisissable, paniquante, aveugle dans son avancée méthodique. Les petites Chinoises rient comme des automates, cheveux noirs bien peignés et rouge à lèvres de mannequins. Je me sens perdu, complète ment seul sur cette planète sans âme.
Les vitrines brillent de mille feux et d’étalages scintillants, montres, bracelets, bijoux, chaînes, appareils photo, vidéo, caméras, magnétoscopes. Une industrie entièrement tournée vers l’exportation qui représente 80 % du produit national brut ! C’est le triomphe de la libre entreprise, de la fiscalité légère, du non-interventionnisme. L’ouverture totale, sans conditions, sans restrictions, sur le monde extérieur. Le roi dollar, qui a bâti l’archétype du système libéral, avec, à la clef, un grand nombre d’inégalités sociales. Mais elles ne sont pas la préoccupation essentielle des Chinois de Hong Kong…
Je n’oublierai pas le visage de Xian, se promenant au marché parmi les petits arbres chargés d’oranges, les sapins de Noël de Hong Kong. Visiblement, le cœur n’y était pas. Je lui ai parlé de la fête, de ce que nous faisions en France, mais cela ne l’intéressait pas. Ses petits yeux n’exprimaient que la nostalgie. Pour elle, comme pour les cinq millions d’habitants de cette petite planète bien à part, la « préoccupation », c’est de voir Hong Kong revenir en 1997 à la Chine populaire qui avait prêté les « New-Territories » à la Grande-Bretagne pour 99 ans. « Si les communistes arrivent au gouvernement à la fin de ce mandat, je me marierai avec un étranger. »
La fête est là, mais on ne la voit pas. La fête de la consommation qui a doublé les prix et va noyer dans les effluves de l’alcool de riz le spectre de Ten Hsiao-ping, conquistador des temps modernes.
A l’auberge de jeunesse où nous avons élu domicile, c’est une véritable révolution ! A longueur de journée, nous transportons nos malles dans les escaliers, dans les ascenseurs, dans les couloirs. Les petites étudiantes « bien » et les moniteurs « sympas » trouvent nos sacs à dos un peu encombrants ; mais comme ils sont polis, ils ne disent rien. La moquette y a laissé quelques plumes, les étagères croulent sous leur chargement, les baignoires servent de meubles de rangement.
Le Nouvel An a rempli les chaumières et vidé les rues, ce qui ne facilite pas la tâche des candidats, un peu désorientés par le voyage, les nouvelles, le choc de l’Asie grouillante ; sans oublier leur fascination pour les magasins où ils prévoient d’acheter le grand angle de leur vie, le magnétophone pour de meilleurs commentaires ou le transistor multifréquences ! Des magasins où règne une ambiance détestable : ainsi, lorsque je demande à regarder un baladeur, et qu’en fin de compte, je décide de ne pas l’acheter, le vendeur m’injurie et m’expulse de sa boutique. Ici, ce ne sont que des rapports d’argent où seuls les dollars peuvent vous attirer la sympathie de vos interlocuteurs. Au cours où il est monté, ça fait cher le sourire !
Le revoilà. Avec ses cheveux plus bouclés que jamais, et ses lunettes mouillées, Pierre Godde pose son sac à dos dans le hall d’entrée de l’auberge de jeunesse. Il arrive de Pékin où il a, une dernière fois, « verrouillé » le passage du Grand Raid auprès des autorités.
Je lui demande comment tout cela se présente. « Pas trop mal, mais ce ne sera pas facile… » Puis je lui fais part de mes inquiétudes pour les films de Hong Kong. Les candidats traînent, perdent du temps, restent ensemble, ne cherchent pas vraiment de sujets originaux. Je sens que le programme Hong Kong va ressembler à celui de Djibouti, lorsque nous sommes revenus en troisième semaine. Une succession de films d’états d’âme et de fictions plus ou moins réussies. Philippe a bien cherché à réaliser un film sur Hong Kong by night, mais s’est fait détruire sa cassette par un chauffeur de taxi irascible ; les filles ont écrit une mauvaise « lettre à Tchang » ; et Roland, qui ne sait toujours pas s’il est éliminé, tourne « Champagne ! » consacré à l’arrivée de Georges Siciliano, le remplaçant de Laurent Chomel.
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