Des lions dans le salon

La véritable rencontre de mon séjour en Zambie s’est faite à proximité de Lusaka. Je voulais absolument inclure dans le récit-étape le témoignage d’une de ces personnes nostalgiques de la « Grande Epoque ». Celle de la colonie, quand les lustres faisaient briller les robes de soirée et que le champagne tournait la tête des chasseurs d’antilopes. Du roman. De l’action.

C’est ainsi que j’ai rencontré Joan Irwin, une petite femme à l’allure frêle, dont les yeux se cachent en permanence derrière des lunettes fumées. En 1969, elle avait relié Londres à Sydney à bord d’un petit avion. 72 heures de vol. Record du monde battu.

Mais c’est du haut de son hélicoptère que nous avons découvert son domaine : 6 500 hectares, 2 000 têtes de bétail, 120 employés. Voilà pour les présentations.

  • Venez, entrez dans ma maison, me dit-elle en souriant. J’ouvre la porte. Tout est silencieux, mais, derrière moi, je sens une «présence».

Soudain, un rugissement déchire l’atmosphère et me fait sursauter.

  • Ah oui, je ne vous ai pas présentés : voici Shumba, un de mes six lions !

Partout, des bêtes énormes promènent leurs superbes crinières derrière des barreaux qui sillonnent de toutes parts cette maison à sept niveaux !

Les lions dans la maison ! Quelle idée ! Je découvre un univers fantastique, peuplé d’ombres et de lumières, où j’ai du mal à distinguer le vrai du faux. Joan entre dans la cage des fauves, au milieu de la salle à manger, à côté de la peau de croco, juste en dessous du buffle empaillé. Shumba ronronne de plaisir. Joan semble minuscule entre ses pattes. C’est impressionnant.

  • Un jour, me dit-elle, un de mes lions était très énervé. Il avait frappé toute la journée contre les barreaux de sa cage. Ils ont fini par céder… Il s’est échappé dans la maison en cassant tout sur son passage, et nous avons eu bien du mal à le rattraper. Malheureusement, il a fallu le tuer.

Shumba, Shiba, Whiskers, Naskies rugissent dans votre dos, au moment où vous ne vous y attendez pas. C’est surprenant quand on vient pour la première fois.

Mais la séance de présentation n’est pas terminée : maintenant, je me fais lécher la main par Chita le guépard, avec lequel j’ai décidé de rester très poli, puis il me faut faire la révérence devant les crocodiles. Tout un programme !

Cerfs, antilopes, gazelles, zèbres empaillés, trophées et lances, masques et plumes tapissent les murs, hantent les recoins, décorent les plafonds. Cette Afrique-là sent bon la poudre et la lampe à pétrole. Kipling n’a pas dû passer bien loin. Le soir, à la fin du tournage, dans la semi-obscurité, à l’heure où les ombres se font complices des ténèbres, je ne sais plus qui, des lions ou de nous, se trouve à l’intérieur de la cage. Alors, Joan nous sort une bouteille de vin français dans un petit panier d’osier, avec, en guise d’apéritif, du poulet au vinaigre. Suprême raffinement de ce personnage hors du commun qui commence à raconter ses plus belles chasses, du Zimbabwe au Botswana, avec des histoires de cartouches et d’avions, le tout ponctué par les rugissements répétés des petites « bébêtes ».

Dehors, les insectes chanteurs se déchaînent. La lune, lentement, accroche les barreaux d’une cage en agitant des ombres magiques, ce qui achève de donner à cette maison une allure fantastique et mystérieuse.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".