Leçon de journalisme au Palais de la Moneda

Mardi, 28 mai

Le palais de La Moneda, je l’avais vu cent fois sur des images d’actualité. A moitié détruit, en flammes, entouré par des chars et des soldats, survolé par des hélicoptères lors de la journée du 11 septembre 1973. Je m’étais juré d’y entrer un jour pour voir, pour toucher, pour respirer l’histoire. J’ai du mal à réaliser ce que je vois devant moi. La place est superbe. Le soleil atténue la rigueur du bâtiment. Devant les murs blancs fraîchement repeints, des militaires paradent, égrenant les heures de leurs bottes luisantes. C’est le temps du silence et des guerres oubliées. Après avoir donné ma carte de presse, je pénètre à l’intérieur du porche d’entrée. Regards de glace, attitudes figées. Une fontaine coule au centre d’une petite cour, de grands escaliers de pierre accèdent à des étages bien gardés. Tout est en place comme avant, sans doute. Dans les bureaux qui se succèdent, les rideaux et la moquette rouge étouffent une ambiance déjà feutrée. De jolies jeunes femmes traînent leurs jupes longues comme des objets de salon. Elles sont bien maquillées, rouge aux lèvres et joues poudrées. Leur rire un peu mécanique fait partie de l’invitation. Tout est propre ici, le ménage a été fait.

Dans son bureau moquetté, sous le portrait du général Pinochet, Francisco Javier Cuadra, ministre secrétaire général du gouvernement, se fait conciliant : « Aujourd’hui le gouvernement pense sérieusement à lever l’état de siège, car l’activité extrémiste est maintenue à un niveau acceptable. L’histoire a montré que la révolution communiste ne peut exister que dans la violence. Mais nous avons bien d’autres choses qui nous préoccupent, et vous feriez mieux de regarder nos résultats encourageants. Par exemple, le taux d’analphabétisme du Chili est l’un des plus bas de l’Amérique latine, la mortalité infantile est en nette régression (20 pour 100) ; c’est de cela qu’il faut parler ! »

22 heures. Les militaires prennent place aux carrefours, sur les trottoirs et dans les rues. C’est le début du couvre-feu qui va durer jusqu’à 5 heures du matin. De ma fenêtre, je ne vois que le vide et le silence.

L’axe Buenos Aires-Santiago était une exception. Une sorte de parenthèse horizontale. Cette fois nous sommes bien descendus de Santiago à Puerlo Montt. Mille kilomètres à travers une campagne vierge, peinte en vert, parsemée de maisonnettes en bois comme dans les pays scandinaves. Nous avons perdu les candidats sur cette route sans fin.

A chaque contrôle les carabiniers vérifiaient notre identité. Ils savaient qui nous étions, où nous allions, combien de voitures étaient passées avant nous et combien passeraient après. Tout cela, pour « assurer notre sécurité ».

Nous sommes enfin arrivés à Puerto Montt. L’hiver est là, le soleil jaune joue sans cesse avec le ciel noir, une foule disparate se presse dans les rues ventées. L’hôtel est grand, désert, les pièces à peine chaudes. Dehors le vent souffle par rafales, agitant la mer qui se brise sur les galets glacés. Dans ma chambre une interprète timide et timorée traduit les interviews de La Victoria avec une certaine angoisse : « Avez-vous interrogé le gouvernement ? Qu’en pense-t-il ? Il faut être objectif ! »

Je m’inquiète car ni Roland, ni Robert, ni Philippe ne sont là. Seuls Christine et Serge sont arrivés, visionnant les images de Valparaiso pour quelques esthètes frigorifiés.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".