Le Népal: une fête, une prière, un concert permanent

Dimanche, 10 février.

Par la route de la montagne, nous montons sur Katmandou, à flanc de corniches, au bord de précipices vertigineux. Nous sentons les pneus accrocher dans chaque virage, et le poids des malles sur le toit qui fait pencher l’ensemble.

Je suis content de retrouver ce petit pays que j’avais tellement aimé. Ici, les gens m’avaient paru vivre dans une parfaite harmonie avec la nature qui semble leur avoir laissé une immense générosité. Ecoutez leur « Namaste ». Il signifie tout à la fois : « soyez le bienvenu », bonjour », « heureux de vous rencontrer » « bonne route », « à bientôt le plaisir de vous revoir ». Mais surtout « que toutes vos bonnes qualités soient bénies et protégées par les dieux ».

Une femme vient à ma rencontre. Son visage est raviné par de longues années de privations. Elle joint les mains, marche à mes côtés, et se courbe pour m’implorer d’un « Namaste » plaintif. En écho, le dos courbé des porteurs d’un bout à l’autre du Népal. Ils sont partout, dans les rues et les villages, ployant sous des chargements impressionnants : marchan­dises, légumes, fruits, poulets, portage par bandeau frontal ou balancier ; j’en ai même vu un qui transportait une armoire.

Le Népal est une fête, un concert permanent.

A Swayambhu, à Bodnath, à Katmandou, à Pokhara, des fanfares et des ménestrels chantent la vie et la mort, les dieux et les hommes ; en ville, à la montagne, sur les plateaux, dans les vallées, ils célèbrent les saisons, les moissons, l’amour et la joie. Des notes mélancoliques s’échappent des temples, à l’heure où les âmes se confient à Bouddha.

Le Népal est une prière.

Une lointaine complainte dans les salles obscures des gompas, sous le toit du monde. Je n’oublierai jamais ce temple, à Bodnath, un lieu très vénéré par les Népalais, envahi de drapeaux à prières, dominé par les yeux terrifiants de Bouddha avec, au milieu, un curieux signe qui n’est ni un point d’interrogation ni un nez, mais le chiffre un, symbolisant l’unicité de Bouddha. En revanche, pas de bouche ni de lèvres, car Bouddha voit et connaît tout.

Me rappelant quelques scènes de Tintin au Tibet, j’avais contourné les temples par la gauche, dans le sens des aiguilles d’une montre ! Il paraît que cette habitude remonte au temps où les disciples de Bouddha se réunissaient autour de lui pour écouter ses paroles. En signe d’hommage, ils lui présentaient leur épaule droite dénudée, étant ainsi obligés de passer devant lui par la gauche.

C’est ce Népal-là que je veux retrouver. Dans le petit village où nous nous arrêtons, une petite fille toute sale se lave avec un minuscule bout de savon sur un pont suspendu tandis qu’une mère allaite son nouveau-né. La lumière rasante les magnifie, en leur donnant un peu d’immorta­lité. Il me semble que ces gens qui vivent sur les marches du ciel ont aussi quelque part dans leur tête cet espace pur et parfait.

Katmandou nous apparaît juste après un virage dominant la vallée verte. C’est superbe, et j’ai bien du mal à réaliser que nous sommes déjà à la fin de notre parcours. Le retard pris à la frontière va quelque peu bousculer notre programme. Voilà pourquoi, sans attendre, nous fonçons vers Pokhara, à deux cents kilomètres à l’ouest de la capitale. C’est là que nous devons repérer notre plateau, au pied de l’Annapurna. Quel décor fabuleux ce doit être !

Dans la voiture, Guy est confiant. Il a tellement attendu ce pays, ces montagnes, cette étape, qu’il « craque » genti­ment ! :

  • Pokhara , tu vas adorer ! A cinq heures du matin, tu vois le soleil qui rosit les sommets. C’est extraordinaire ! Et puis cette ville ! Les petites maisons, les avenues étroites, les habitants qui ont l’Everest comme quartier !…

En me tapant sur les genoux, il m’assure que

  • Théoriquement, il ne devrait pas y avoir de problèmes pour la ligne téléphonique !

Et en m’enfonçant un doigt dans l’oreille, il m’avoue son grand regret : ne pas avoir pu obtenir cette montgolfière à partir de laquelle j’aurais dû ouvrir l’antenne, au-dessus de la vallée de Pokhara, à quelques kilomètres des cimes enneigées de la chaîne de l’Himalaya ! Tout ayant échoué pour des raisons techniques, je présenterai l’émission… sur la terre ferme, et sur fond de montagnes.

En arrivant, nous ne mettons pas longtemps à nous apercevoir que la ligne téléphonique n’est pas prête… Cette fois, tout espoir d’enregistrer à Pokhara, d’en haut ou d’en bas, est définitivement ruiné. Nous sommes plutôt déçus et retournons très vite dans la capitale pour y improviser un plateau. Etre au Népal, au pied du toit du monde, et devoir tourner dans le centre-ville de Katmandou, c’est un peu frustrant !

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".