Le Grand Raid redémarre

Mardi 22 janvier 1985

L’aventure recommence et cela me met de très bonne humeur. Elle recommence plus tôt que prévu d’ailleurs. Le brouillard bouche le hublot et nous force à atterrir non pas à Doha, au Qatar, mais à Dubaï ! Quelques heures d’attente, décollage et atterrissage à… Abù Dhabi ! Je me demande si je n’ai pas pris un charter pour le tour complet des Emirats en moins de 24 heures. Là, tout se complique. On nous prend nos passeports, nous sommes embarqués dans un autocar et logés à l’hôtel. Jusqu’à quand, pour où, pourquoi ? Je ne le sais pas encore. Toujours est-il que cette petite balade n’arrange pas mes affaires. Une fois de plus le retard s’accumule. Je suis enfermé dans une chambre avec réfrigérateur (sans alcool), baignoire de luxe, télévision ; invité à un banquet royal avec des jus, des glaces, de la viande, du poisson; promené le long de la piscine, en long, en large et en travers. Mais je veux Doha, je veux voir les raiders, Pierre, et non ce simulacre d’hôtel pour James Bond détournés !

A quatorze heures, le départ pour l’aéroport est enfin annoncé, annulé au dernier moment, reprogrammé pour 18 heures. Puis c’est l’attente de nouveau, peut-être pour la prière. Mais non, là-bas, la foule s’agite, et des messieurs en vert crient dans leurs talkies-walkies. Cette fois c’est une alerte à la bombe qui retarde le décollage. L’avion est fouillé ; on ne trouve rien et l’on donne un nouveau feu vert pour l’embarquement, annulé. Au dernier moment car il paraît que le brouillard recouvre à nouveau l’aéroport de Doha.

C’est le retour à la case départ. Je demande à louer une voiture

  • C’est impossible, Monsieur, vous n’avez pas de visa !

Dix-huit heures après avoir quitté Paris, me voici enfin à Doha au Qatar !

Le soir même, je convoque tous les candidats dans ma chambre. Sur les lits, sur la moquette, sur les bureaux, Alexandre, Alain, les filles, les mécaniciens, les techniciens, tous sont venus. Ils savent que l’émission « pose des problèmes » et que des « choses » se sont dites à Paris. Un silence de plomb alourdit l’atmosphère enfumée.

  • Roland, ouvre la fenêtre !
  • Non, je ne peux pas… il y a le muezzin… on ne s’entendra pas !

Je m’élance.

  • Il faut changer beaucoup de choses ! Vous avez plein d’idées, du talent, vous foncez chaque semaine sur des routes d’enfer en parcourant de 1000 à 2000 kilomètres, vous trouvez encore le temps de tourner un sujet et d’enregistrer un programme à l’étape. C’est usant, crevant ; et pourtant, à Paris, on entend dire que vous prenez des vacances, que vous êtes décontractés et que vous insultez le jury. Guilène , tu sais que ton « accrochage » avec Noël a été très mal perçu par les téléspectateurs ; toi, Laurent, tes lunettes folklo et ton foulard : à la poubelle ; quant à toi, Alain, ne te déguise plus en Rackham-Le­Gum sur le plateau, ce n’est pas très bien ressenti en Europe. J’avoue que moi le premier, je vous ai laissé faire, mais c’est une erreur. Aujourd’hui, vous passez pour des gens antipathiques, pour des petits bourgeois du 16ième, pour des amateurs éclairés en mal de voyages, ce qui est un comble !Je reste persuadé qu’il ne faut changer que la forme, car le fond est bon. C’est uniquement une question de perception. Alors, à partir de la semaine prochaine, nous vous demandons de venir au plateau dans une tenue correcte, de préparer vos lancements de sujets et vos interven­tions sur l’antenne, de bien vous tenir sur les routes, ceintures attachées et baladeurs dans le coffre, en essayant de vous séparer au maximum ! C’est l’ultime appel, notre dernière chance, car nous n’avons que quelques jours pour marquer des points. La période de rodage est terminée. Si le Raid ne décolle pas maintenant, c’est fini… Compris ?

Cette fois, personne ne rit. Sauf Alexandre, comme d’habitude, qui trouve quelque chose à redire, histoire d’avoir le dernier mot. Combien de fois nous sommes-nous amusés à faire tous les deux de la surenchère verbale, en se traitant de tous les noms, pour la musique des mots et l’entretien de l’amitié. Mais ce soir, les enchères ne montent pas haut. Les candidats sortent de la chambre, très songeurs, et n’ont pas envie de donner la réplique.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".