Le courrier des fans et la vie intime des Raiders

Lundi, 11 mars 1985

A l’hôtel, je retrouve Marie-Odile et son père, arrivés il y a deux jours après quarante-huit heures de voyage sur une compagnie fantaisiste. Je suis très ému de les revoir. « Paulus », mon beau-père, aurait sans doute passé avec brio les sélections de Mon­tlhéry, lui qui ne rêve que d’un raid ouvert aux sexagénaires ! Alors, en attendant, il vient soutenir et encourager celui des jeunes, propose sa documentation, son aide morale et physique dès qu’il s’agit de porter des malles, brancher des spots, organiser ou ranger un plateau. Par contre, il n’aurait pas été un juré objectif, ayant un penchant tout à fait marqué pour l’équipage féminin, un a priori presque suspect pour leurs reportages et un avis trop souvent favorable dès qu’on parle de Christine.

La coutume, rappelez-vous, veut que le voyageur « qui vient de loin » ouvre tout de suite ses malles pour distribuer le courrier. En file chinoise dans notre chambre, les héros du jour attendent sagement la distribution. Marie-Odile ouvre son sac et se transforme pour quelques minutes en Père Noël.

Une chose est sûre, les Suisses sont en tête du hit-parade de la popularité. Ils ont droit aujourd’hui à une demi-douzaine de grosses enveloppes remplies de cartes postales et de lettres : des demandes d’adhésion au club de Rackham-Le-Gum pour Alain, provenant essentiellement d’adolescents, des invitations prometteuses, des mèches de cheveux, parfois des photos suggestives pour Alexandre-le-Beau. Christine et Guilène ne sont pas en reste. Elles doivent tenter de canaliser les élans fougueux des messieurs éblouis qui « voudraient tant faire leur connaissance… ».

De mon côté, je décrypte l’électrocardiogramme du Raid : la courbe d’audience est en hausse, les critiques sont bonnes, l’indice de satisfaction excellent, le courrier encourageant.

Cette lettre d’une téléspectatrice de La Garenne-Colombes, par exemple : « Le Raid est devenu ma petite drogue hebdomadaire. Je me réveille la nuit car je fais des cauchemars sur le Raid. Je vous avoue d’ailleurs que j’ai bien souvent envie de tordre le cou de ces messieurs les jurés. »

Sandra et Sylvie sont enthousiastes elles aussi : « On aime beaucoup les sujets et même si ces… de jurés notent mal certains films, on s’imagine bien les embûches que vous pouvez rencontrer. Peux-tu nous dire quel âge tu as et si vous devez vous maquiller pour chaque émission ? »

Plus inquiétant : « Mon médecin, me voyant le teint pâle et la mine triste, m’a recommandé une dose de Raid. »

Un peu M.L.F. : « Pourquoi n’y a-t-il que deux filles dans le groupe ? » (note de l’auteur : c’est déjà pas mal…)

Intime : « Je vous envoie une mèche de mes cheveux. J’espère qu’elle deviendra un porte-bonheur. »

Militaire, cette enveloppe écrite à mon nom : « Monsieur D. Regnier , encadrement équipe du Raid. Peut-être êtes-vous le fils du brigadier-chef Regnier, mort en Indochine près d’Haiphong ? Si c’est le cas, je serai heureux de parler de votre père. » Rompez !

Et enfin, plus étonnant encore : « Certains points préoccupent beaucoup de spectateurs : comment, pendant si longtemps, vos jeunes gens arrivent-ils à satisfaire certains besoins amoureux ? Je ne pense pas, même si le cœur leur en disait, que vos deux jeunes filles aient pu faire face à cet assaut. Elles-mêmes ont dû trouver un dérivatif. Ce qui nous a frappés ces temps derniers, c’est la métamorphose physique de Christine. Elle rayonne, transfigurée. Nous ne doutons pas que sur place, elle ait trouvé d’abondantes et délicieuses satisfactions. Et tant mieux… »

Cher Monsieur, ces questions feront l’objet du tome 2, préparé par Georges Siciliano, expert en relations publiques.

Ces interrogations n’étonnent plus Christine ni Guilène depuis longtemps. Par centaines, les francophones, troublés, perturbés, agités par leur présence éclatante, se sont rués sur leur papier bleu pour vanter le sourire, le dévouement, l’entente, la compréhension des représentantes du sexe dit « faible ». Sur l’Olympe des louanges, les Monégasques, tressées de couronnes, assistent au concert quotidiennement renouvelé des donneurs de conseils, admirateurs et dragueurs en tout genre. De Suisse, elles reçoivent aujourd’hui une lettre enflammée qui ferait pâlir d’envie les plus ardents défenseurs de la cause féminine au ministère des Droits de la femme. Ecoutez plutôt.

« I love you ! Si je regarde les raiders, c’est pour y trouver « ces êtres » d’exception qui font que la vie existe entre nous. Regarder n’est point voir et moi… je vous ai vues. Sachez, jeunes filles… femmes aux rayonnements cosmiques, que vous m’apparaissez comme une sève. Oui, je pense… comme une sève pure. Cet élément primordial et unique dans la quête pour la vie ! Je vous ai vues entrer dans mon existence avec beaucoup de force et de grâce ! Voudriez-vous partager avec quelques fous… ce voyage fabuleux que nous parcourons depuis cinq milliards d’années. Y faire des découvertes gigantesques et jouissives devant… l’exploration d’un monde… si différent ? On se revoit quand vous le désirez. Tendresse. » De quoi faire tomber la comète de Haley dans les maquis de Cassis et de Cagnes-sur-Mer.

Pour couronner le tout, je reçois des dizaines de paires de chaussettes, cadeaux qui font suite à l’appel que j’avais lancé en plaisantant à Hong Kong. Je suis le premier surpris. D’abord parce que les téléspectatrices ont pris le temps de tricoter, ensuite parce qu’aucune n’a manqué d’humour. Exemples : cette superbe paire de toutes les couleurs où sont prévus les emplacements pour les orteils, envoyée par trois jeunes Vietnamiennes ; cette paire de chaussons bleus « pour éviter les rhumes de culottes » ; cette autre sur laquelle est cousu le titre de l’émission ou encore celle-ci composée d’une grande et d’une toute petite chaussette, « parce que je ne connais pas votre pointure ». Je vous remercie vous et celles que je ne cite pas, pour votre générosité qui m’a tellement touché et équipé pour mes prochaines expéditions. C’est promis, je recommencerai.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".