Le Grand Raid était un jeu télévisé. Il fallait donc une équipe gagnante et des prix. Mais ces prix (l’équivalent aujourd’hui de 12000 euros à partager entre les vainqueurs) et la gloire bien éphémère attachée à la première place paraissaient presque dérisoires devant la valeur inestimable de notre participation à cette aventure. Je pense que nous en étions pour la plupart conscients et c’est ce qui explique la complicité apparente et l’entraide entre les équipes pour une bonne partie du parcours, comme l’explique Didier. C’est aussi ce que je me suis dit et répété lorsque j’ai appris, près d’un an après la fin du Raid, les circonstances réelles de la première position de nos amis belges au classement final. Petit flashback…
Le 1er juin 1985, après l’enregistrement la veille du plateau de l’émission à Puerto Montt, au Chili, les équipes prennent une à une la route pour la dernière grande ligne droite du Grand Raid, la descente de la Patagonie jusqu’au glacier du Lago Argentino, avant d’atteindre Puerto Williams, à quelques kilomètres du cap Horn. Du côté des Canadiens, tout est prêt. Les valises sont faites. Mais où sont donc passées les clés de la voiture?…
Nous cherchons d’abord plusieurs fois dans nos bagages, avant que Francis se rappelle avoir été réveillé tôt le matin par Philippe Raymakers, venu emprunter les clés pour récupérer quelque chose dans notre voiture (Philippe avait fait le trajet avec moi de Buenos Aires à Puerto Montt). C’est donc Philippe qui a dû partir avec nos clés, mais comment le joindre? Nous savons qu’il a pris l’avion pour Punta Arenas pendant que Serge faisait la route mais nous ignorons dans quel hôtel il est descendu. En fin de journée, nous le retrouvons enfin.
- Vous n’avez pas les clés, semble-t-il étonné d’apprendre? Je les ai laissées à la réception de l’hôtel avant de partir…
Nous passerons encore quelques heures à discuter avec les employés de la réception qui jurent ne pas avoir reçu de clés mais qui cherchent quand même partout. Nous attendrons le lendemain pour reprendre le même manège avec le personnel de jour. Rien à faire: les clés restent introuvables. Faire bricoler un système de démarrage par un mécanicien local? Les Visas étant protégées par un système anti-vol qui risque de forcer le braquage des roues dans le premier virage, il est hors de question de prendre ce risque, surtout que le camion de secours est déjà loin devant nous.
Triste point d’orgue de notre aventure, la seule solution est donc d’abandonner la voiture et de rejoindre le reste du convoi par avion. Cet abandon de voiture sera sanctionné de 20 points de démérite et par les remontrances des mécaniciens. A l’enregistrement du plateau suivant, au Lago Argentino, Christine que j’ai pourtant réussi à contacter pour lui dire que nous n’avions plus nos clés, aura cette explication pour justifier notre absence:
- J’ai eu un coup de téléphone juste avant de venir au plateau et en fait ils sont en panne de voiture, et ils ont été obligés de… enfin ils ont cassé… ils savent pas exactement quoi. Les Canadiens ne sont pas très bons mécaniciens…
Après l’ultime étape de Puerto Williams, au lendemain de notre retour à Santiago (d’où nous allions embarquer pour Paris), quand les mécaniciens nous rejoindront avec la Visa récupérée à Puerto Montt, je demanderai, étonné qu’ils aient fait si vite, comment ils s’étaient débrouillés.
- Les clés?… Les voici, me dit le mécano Denis Lajoye, à ma grande stupéfaction.
- ?!… Et elles étaient où?…
- A la réception de l’hôtel!
- Quoi?!…
- Eh oui! Il suffisait de demander…
J’étais vert de rage contre ces employés d’hôtel qui avaient gâché la fin de notre belle aventure. Quelle incompétence!!
Quelques mois après notre retour du Grand Raid, en mars 1986, Serge Goriely m’avouera qu’en fait, les clés, c’était bien… Philippe qui les avait et qu’il s’était rendu compte trop tard qu’il avait oublié de nous les rendre… Philippe, qui venait de frôler l’élimination, aurait pu essayer de nous les faire parvenir par avion ou assumer sa responsabilité, mais il préférera se taire, avec le soutien de quelques camarades d’aventure, Raiders et mécanos, à qui il remettra les clés pour leur faciliter le rapatriement de la voiture de Puerto Montt à Santiago, en échange de leur silence. Ceci me sera confirmé par Christine, qui aura pour toute explication qu’ils ne voulaient pas qu’une sanction contre les Belges profite à… Francis, mon co-équipier qui n’avait pas la cote auprès d’une partie de l’équipe!
C’est ce qui fera toute la différence entre les première et deuxième places au classement final. En effet, Francis et moi serions passés en tête si la pénalité de 20 points qui nous sera imputée pour abandon de voiture avait été infligée à Philippe et Serge. Le score final aurait été de 3805 points pour le Canada et de… 3798 pour la Belgique.
Les bras m’en tombent ….. Je ne savais pas cette histoire de clés !!!! Alain et moi n’avions pas fait le trajet puisque nous tournions un sujet sur l’Ile de Pâques et avons rejoins toute l’équipe à Punta Arena en avion ….. Le silence trouve parfois ses explications dans le passé …
Pas sûr de comprendre ton commentaire sur la prétendue naïveté des Québécois Sacki… ?? Chose intéressante, aucun de nos compagnons de route, ni Philippe et Serge, ni Christine et les autres qui ont lu cet article n’a cru bon de réagir, ni sur ce site ni par email…
Naïfs comme tous les québécois …
Notre stupide judéo-christianimse exacerbé aura laissé ses traces …
Bueno !
Ce sont là des aspects pertinents à mettre en lumière.
En effet, ce ne fut pas très glorieux à la fin… Je m’arrête ici sur ce point.
Je n’avais pas la cote ? Il est vrai que je préférais nettement le côté «Exploration» que le Raid nous offrait à celui «Colonie de vacances pour jeunes occidentaux bardés de quincaillerie et de fric» qu’il empruntait parfois (j’ai eu quelques minutes d’hésitation à savoir si j’allais écrire Parfois ou Souvent).
Mais que l’on ne s’y méprenne pas : je ne suis pas amer. C’est sûr que ça m’a foutu une flambée de tristesse de lire ça. Et puis je pourrais m’en vouloir de ne pas avoir vu ce piège à con gros comme un éléphant dans un couloir. Mais je ne m’en tiens pas rigueur car à ce moment-là, je sais que je n’étais pas naïf.
Non, je n’étais pas naïf ; j’étais insouciant, et plutôt zen aussi. Car j’avais compris que le courage et l’intégrité dont Robert et moi avions fait preuve durant le Raid valaient beaucoup plus que le… succès.
Et le plus beau dans tout ça c’est qu’ils me manquent toutes et tous, ces Raiders, Mécanos, Gens de la prod et tutti quanti. Je m’arrête ici sur ce point… Ce serait très long écrire tous les beaux souvenirs que je garde d’eux.
Ciao !
Francis