5000 candidats de 5 pays francophones

Au mois de février 1984, à la fin de la dernière émission de « La Course autour du monde » réunissant la plupart des globe-trotters qui en firent les beaux jours, Jacques Antoine était parti dans une de ces improvisations dont il a le secret, afin d’expliquer le but et les règles de ce « prochain raid ». A la suite de cette tirade exceptionnelle replaçant Molière au rang d’apprenti comédien, Roger Bourgeon avait lancé un appel aux jeunes de 18 à 25 ans, rêvant de participer au premier tour du monde automobile.

Cinq mille candidats des cinq pays francophones avaient envoyé leurs dossiers d’inscription accompagnés d’un film réalisé par eux. Suivant une tradition bien établie, les curriculum vitae et les tests de l’arbre ont été scrupuleusement observés, les films disséqués, analysés, interprétés devant le Politburo des experts en cinématographie et psychologie appliquée. Puis les premiers « pré­sélectionnés » sont venus à Paris confesser leur perversion bizarre devant une douzaine d’examinateurs réunis au siège d’Antenne 2, avenue Montaigne, parmi lesquels Jacques Antoine, Roger Bourgeon, Jean-Michel Boussaguet, Antoine de La Garanderie et votre humble serviteur.

L’interrogatoire prenait des formes variées. On y évoquait les couches-culottes, l’adolescence boutonneuse, les études ratées, les relations avec méchant papa et gentille maman, la première gifle et le dernier amour. Et puis, au même moment, nous commencions tous à pressentir la question qui brûlait les lèvres de Jacques Antoine. Une question qu’il posait systématiquement à chaque candidat vers la fin de l’entretien. Le regard souvent inquiet et fuyant, l’élève écoutait dans un silence éprouvant la terrible interrogation :

  • Imaginez que vous tombiez en panne à six cents kilomètres de Djibouti. Vous êtes en plein désert, sur une piste, seul avec votre coéquipier. Il n’y a rien à filmer, mais, quand je dis « rien », c’est vraiment rien. Pas un cactus, pas une paillote, pas un village. Le dé­sert. Comment vous y prenez-vous pour tourner votre film ?

La question était toujours suivie d’une réflexion sage, méthodique, lèvres serrées et respiration bloquée. Le candidat avait l’impression d’abattre sa dernière carte, ce qui n’était absolument pas le cas. Jacques Antoine voulait seulement tester les capacités de réaction et d’improvi­sation des uns et des autres puisque le Raid ouvrait ses portes aux films de fiction. Nous avons eu droit à toutes les réponses : « je fais une sieste », « je marche jusqu’au prochain village », « j’attends une voiture », « je répare », « je fais du stop »… Deux ou trois concurrents seulement nous répondirent qu’ils filmeraient d’abord la panne, et qu’ensuite ils essayeraient de bâtir une histoire autour de l’incident. En d’autres termes, ils se mettraient en scène « puisqu’il n’y avait rien d’autre à faire »…

L’attente de la question, la question elle-même et les réponses avaient fini par provoquer à chaque fois un fou rire général. Je crois que l’audition de dizaines de candidats par jour commençait à rendre nos nerfs un peu fragiles. (…)

Après les entretiens, un certain nombre de prétendants furent retenus. On leur demanda de trouver et tourner un sujet dans des petites villes avoisinant Paris, choisies presque… par hasard.

(…) De ces sélections en chaîne opérées simulta­nément dans les cinq pays francophones, émergent quatre candidats. Deux d’entre eux constitueront l’équipage partant, les deux autres resteront « en réserve » pour effectuer — le cas échéant — des remplacements. Mais, pour le moment, personne ne sait qui va partir et qui va rester. Le choix sera fait à l’issue d’un « stage-commando » de trois semaines durant lequel les héros vont s’affronter.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".