Lundi, 5 novembre 1984, 15 heures
Les containers sont alignés sur le quai du port. De leurs ventres ouverts sortent nos voitures. Belles, intactes, blanches sous le soleil blanc. Chaque équipier se précipite sur « son » véhicule, avec une joie non dissimulée.
- C’est drôle ! dit Roland, la dernière fois qu’on les a vues, c’était à Montlhéry !
Pendant trois semaines, les Visa ont vogué sur l’eau, de Paris au Cap. Trois semaines durant lesquelles Claude Hardy n’avait pas vraiment bien dormi. Il m’a raconté plus tard qu’un capitaine de navire a le droit de délester la marchandise transportée, en cas de tempête, cette pratique étant autorisée par la législation, pour sauver le bateau!
Les journalistes montent sur des échelles, se couchent par terre et nous interviewent, en anglais, bien sûr:
- Où allez-vous ?
- A la Terre de Feu!
- Non ! Ce n’est pas possible !
- Si, si ! je vous l’assure !
- Combien de temps ?
- Huit mois !
- Sans blague !
Ultimes vérifications. Tout est là grilles de désensablement, jerricanes, phares de poursuite, ordinateurs de bord, roues de secours.
Retour en file africaine à l’hôtel où la foule vient regarder, le nez aux vitres. Méticuleusement, chaque équipage aménage, range, vérifie si le système d’alarme fonctionne, dans un concert anarchique de sirènes hurlantes !
Pendant ce temps, nous négocions avec Guy un hélicoptère pour survoler le cap de Bonne-Espérance, point de départ du Raid, et notre passage au coeur de la réserve d’animaux. Les jours deviennent de plus en plus courts. Les voitures, presque équipées, font l’objet d’attentions particulières. Chacun rivalise d’ingéniosité pour aménager son véhi cule : Benoît installe un filet sous le plafond, suspendu aux arceaux de sécurité, pour y mettre des fruits ; il coince des boîtes entre les plaques de protection du réservoir, visse et dévisse, soude et ressoude, gagne un centimètre sur chaque millimètre, concluant chaque victoire d’un large sourire. De son côté, Laurent colle un miroir sur la vitre arrière pour garder l’œil sur son foulard, tandis que Philippe fait d’infructueux essais pour reculer au maximum son siège.
Dehors, la ville du Cap étale sa richesse. Il est difficile de réaliser que nous sommes en Afrique. Ce pays est en effet le premier producteur d’or au monde et sa treizième puissance économique ! Les immeubles scintillent au soleil, les avenues sont larges, les boutiques luxueuses. L’argent coule à flots. Pas de cases ni de mil ; mais plutôt le style hot dogs et buildings ! L’Amérique. Une sorte « d’ Afrikaan way of life », avec air climatisé et résidences secondaires. Et le monde partagé des Blancs et des Noirs. Ici, les Blancs sont souvent servis, les Noirs souvent serveurs. Nous ne nous sentons pas toujours très à l’aise dans cette ville, ni le long de ces plages réservées aux uns, interdites aux autres. Mais je dois reconnaître que l’accueil est exceptionnel et que les nuances de la vie quotidienne s’accommodent fort mal des clichés surfaits que nous importons d’Occident. Un officiel me dit en souriant : « Vous voulez boycotter l’Afrique du Sud ? Commencez par arrêter de nous vendre des armes ! »
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