La Citroën Visa 4X4

Comment trouver une voiture capable d’avaler les pistes du monde entier?

Le dossier avait atterri sur un bureau, au premier étage de la maison Citroën. Celui de M. Pierre Miranda, directeur de la Communication et de la Promotion. Il avait feuilleté le rapport en le lisant de près, avant de le reposer et de dire : « L’idée est bonne ; c’est le style de la Maison… » L’homme était resté calme, mais ses yeux brillaient déjà à la pensée de voir « ses » voitures sillonner les routes de la planète.

L’espace d’un instant, il s’était remémoré les incroyables péripéties des chenillettes Citroën dans la « Croisière jaune », portées pièce par pièce sur les pentes de l’Himalaya, en 1932. D’un seul coup, notre projet lui avait semblé aussi fou, aussi fantastique dans son esprit. Pierre Miranda s’était dit qu’il allait tout faire pour le favoriser.

A partir de ce moment, le Raid s’est trouvé entre les mains d’un seul homme, déterminé, convaincu. Pour lui, le vrai problème restait celui de la technique. Au service Compétitions, on s’étonnait de cet engouement soudain pour le 4 x 4. Les spécialistes pensaient que ce tour du monde pouvait se faire avec des voitures « normales ». C’était mal connaître l’entêtement légendaire de Jean-Hugues Noël, directeur de production à Télé-Union. A lui seul, ce jeune homme (un ancien de la Course) ferait admettre à un égyptologue que les Pyramides se trouvent à Shanghai !

Derrière son bureau, Jean-Hugues n’arrêtait pas de répéter : « Je veux des 4 x 4 ! Nous faisons une émission de télévision ! C’est une question d’image, de « look », dont nous sommes responsables ! Citroën doit uniquement s’occuper de la technique ! » En février 1984,le feu vert avait été donné. Aussitôt, on avait élaboré les budgets, imaginé une ligne, pensé à la sécurité, car la jeunesse des futurs conducteurs ne rassurait pas vraiment les responsables… On s’était même heurté aux premiers problèmes. Un jour, Claude Hardy avait appelé Bernard Cheviron, chargé des « opérations spéciales » chez Citroën, donc de ce projet.

  • Mon cher ami, je tiens à vous préciser que, travaillant sur une chaîne de télévision nationale, nous ne pouvons pas laisser les chevrons ni le mot Citroën sur vos voitures ; nous sommes bien d’accord ?

A l’autre bout de la ligne, c’est le silence. Bernard Cheviron est étonné qu’on lui refuse le droit de reconnaître entre mille ses voitures. Il ne répond rien sur le moment, et transmet à Pierre Miranda qui, lui, répond :

  • Pas de chevrons, pas d’émission !

Le verdict était tombé comme un couperet, mettant en ébullition les directions et les directoires des établissements concernés. Chez Citroën, on y rappelait avec insistance que « les chevrons, c’est indispensable » ; à Télé-Union, le P.-D.G., Maurice Cazeneuve, rouge de colère, laissait entendre à qui voulait l’écouter que « s’il fallait qu’il y ait des chevrons, il y aurait des chevrons » !…

Une heure après, Pierre Miranda avait remarqué un bout de papier sur son bureau, contenant ce message exquis « Il y aura des chevrons. »

Au même moment, des gens avertis des bienfaits de l’image télévisuelle décidaient que le treuil serait fixé à l’arrière du véhicule et non à l’avant… parce qu’il aurait pu masquer… les chevrons !

Les problèmes essentiels étant réglés, l’aventure pouvait commen­cer. Claude Hardy avait remis à la société constructrice un cahier des charges. Il fallait un véhicule léger, avec un minimum de garde au sol, capable de circuler sur les cailloux, le macadam ou le sable. Sans oublier un coffrage étanche pour y ranger le matériel vidéo, les lampes et les micros. Enfin, un groupe électrogène pouvant recharger batteries et accumulateurs. Le « look » si cher à Jean-Hugues n’était pas négligé : pose de pare-buffles, grilles de désensablement, phares de poursuite, treuils de remorquage.. à l’arrière. Le tout accompagné de bouteilles Thermos, d’une balise de sécurité et de mouchards.

Devant cette avalanche de « contraintes », les responsables de Citroën n’avaient vu qu’une solution. Il fallait transformer un modèle existant : celui de la Visa « mille pistes » dont l’allure générale se rapprochait sensiblement de ce que cherchaient les « créateurs » des Champs-Elysées.

Cette opération avait été confiée à la société Heuliez. A elle revenait la charge d’aménager une « série limitée » de quatorze véhicules. Pourquoi quatorze et non sept ? Parce que, le Raid n’étant pas continu d’une extrémité à une autre, il fallait envisager un certain nombre de transferts aériens entre les continents. Devant sa calculette, Jean-Hugues Noël n’avait pas tardé à sentir quelques sueurs quasi tropicales lui glacer le dos. Le transport des voitures par avion-cargo aurait coûté une véritable fortune et présenté des risques de retard. Le budget de Télé-Union n’étant pas sans limites, Jean-Hugues avait eu — une nouvelle fois — une idée lumineuse. Il reviendrait nettement moins cher de construire et d’acheter deux lots de sept voitures que l’on acheminerait en alternance par voie maritime. Un lot pour l’Afrique et l’Amérique du Nord ; un autre pour l’Inde et l’Amérique latine.

Ces « Visa », Télé-Union ne les avait voulues ni « voitures de course » ni « bêtes de concours ». Du 11 au 18 septembre 1984, la série limitée avait été construite dans les ateliers du service Prévente de M. Podtvin et de son équipe, à Nanterre.

La fabrication s’était transformée en un marathon couru jour et nuit par un électricien, un carrossier, un motoriste et un responsable de la finition. Chacun d’eux n’avait eu qu’une petite semaine pour mettre au point quatre véhicules. Dans un ballet fantastiquement bien réglé, les mécaniciens avaient choisi un moteur « pauvre » de 62 chevaux, renforcé les suspensions, protégé de plaques les réservoirs de cent litres, vissé les arceaux de sécurité, arrimé les malles sur le toit, vérifié le système antivol. Il leur a fallu « apprendre » les voitures, évaluer l’outillage, envisager un certain nombre de pièces de rechange pour huit mois de délire. Ces passionnés n’avaient ménagé aucun effort pour sortir dans les délais quatorze voitures rutilantes, prêtes à bondir. Des voitures qu’ils ne conduiraient jamais, mais les feraient rêver pendant tout un hiver.

La caravane du Raid se composerait ainsi :

  • Cinq Visa aux couleurs des télévisions francophones : Antenne 2, Radio Canada, Télévision Suisse Romande, R.T.L. Télévision, Télé-Monte-Carlo. A bord de chacune d’elles, un équipage de deux concurrents par pays, choisis par les télévisions.
  • Deux Visa d’encadrement. Dans la première, un cameraman et moi. Dans la seconde, appelée « voiture d’assistance rapide », un mécanicien (choisi par Citroën) et un photographe.
  • Enfin, un camion de dépannage chargé de pièces détachées. Un véritable « bijou » du tout-terrain nommé Pinzgauer, amoureusement préparé et équipé par M. Clateau, spécialiste de l’aménagement des véhicules d’assistance aux rallyes. Il avait doublé les suspensions, supprimé la climatisation et surtout boulonné toutes les pièces à l’intérieur du camion 6 x 6. A son bord, prendraient place un deuxième mécanicien et l’ingénieur du son.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".