Enregistrement du plateau à l’école maternelle

Jeudi, 28 février 1985

Le mécanicien Platon lave les voitures et moi, je retourne à l’école maternelle de Changsha, dans laquelle nous avons installé notre studio son. Théoriquement, nous devrions avoir ce soir la liaison avec Paris.

Nous avons choisi une école pour notre première émission chinoise parce que l’éducation est quelque chose de prioritaire dans ce pays. Une obsession. On pourrait dire de la Chine qu’elle est une gigantesque salle de classe. Jour et nuit, des élèves, paysans, ouvriers et adultes s’y succèdent avec la même soif d’apprendre et de connaître. Cent millions d’élèves usent quotidiennement leurs fonds de culotte dans les écoles primaires.

Avant d’enregistrer l’émission, Benoît Jacques a promené sa caméra dans la maternelle. Ici, trois cent quatre-vingt-quatre élèves de trois à six ans travaillent six jours sur sept en vivant le régime du pensionnat. Non pas parce que leurs parents sont loin ou disparus mais parce qu’ils vont eux-mêmes à l’école le soir.

Le plateau se déroule dans une bonne ambiance. Roland parle de sa candidature prochaine à la mairie de La Chapelle-en-Vercors, Georges Siciliano, avec sa tête de lendemain de fête, ose encore se présenter, Guilène montre le petit chien trouvé sur la route, Alain explique son virage raté en pleine montagne.

L’enregistrement terminé, les raiders rentrent pour boucler leur plan de montage ou finir d’écrire leur commentaire. Les projecteurs s’éteignent. La directrice a l’air ravie de sa journée. Nous fermons les malles tandis qu’un peu plus loin des bouteilles s’ouvrent et que retentissent déjà de joyeux « Kampei ! ». Le banquet offert par la province s’annonce bien, si j’en juge par le ballet incessant des bouteilles au-dessus de la tête des raiders.

Alors que les équipes se donnent un moment de répit, alors que l’émission est dans la boîte, la course commence.

Nous sommes vendredi soir, au milieu de la Chine, à 2 000 kilomètres de Pékin, à 1000 kilomètres de Canton, et Paris attend déjà les bandes. A cette époque de l’année, il n’est pas question de compter sur les avions des lignes intérieures perturbés par le brouillard, la neige ou les déroutements. C’est le moyen idéal pour ne jamais arriver à l’heure. A vingt heures, Pierre quitte le banquet avec le sac jaune à l’intérieur duquel se trouvent nos cassettes. Le Chinois qui le conduit à la gare se confond en excuses :

  • Monsieur Godde, toutes les couchettes étaient réservées, je vous ai pris un ticket en troisième classe…

Dans la nuit noire, Pierre devient jaune car il sait ce qui l’attend, pour l’avoir déjà expérimenté lors de son repérage. Pendant quinze heures de train de nuit, il reste assis sur une banquette dure comme du bois avec à peine assez de place pour respirer entre les passagers debout devant ses pieds et les sacs de toute nature qui n’arrêtent pas de tomber sur lui. Les gens sourient, mais l’air se fait rare et les odeurs un peu plus fortes.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".