Direction Bombay

Samedi, 26 janvier.

L’avion vient de nous arracher aux chasseurs de rats. En survolant les superbes montagnes d’Oman, je ne peux m’empêcher de penser à ces deux mois passés en Afrique. C’est déjà l’heure des bilans. Trois accidents, un blessé grave, 45 crevaisons, un pont et une direction cassés, 60 000 litres d’essence. Tout cela en 12 000 kilomètres.

Les impressions des uns et des autres, arrachés au hasard des conversations, couvrent le bruit des réacteurs : « Les couleurs nous ont fait oublier la misère », dit l’un ; « Moi, dit Alain, je retiens le rythme africain. Si cela ne peut se faire aujourd’hui, ça se fera demain ! »

Le choc des couleurs dans les paysages, le choc des peaux noires et blanches : Alexandre s’est fait mettre à la porte d’un magasin pour Noirs en Afrique du Sud. Dur, le racisme à l’envers, n’est-ce pas ?

Et puis d’autres souvenirs, plus doux : le dîner aux chandelles avec Miss Africa, les nuits chaudes au New Florida. Pour Guilène : « C’est la poussière, l’humidité, la brousse sous le ciel étoilé, les campements devant les postes de police, la rencontre avec Frida, la clocharde blanche, à Johannesburg. »

Livre de géographie à ciel ouvert, mais cette fois, personne n’a de mal à retenir la leçon. Philippe, lui, se souvient du « vert éclatant de la Tanzanie, des porteurs du Kilimandjaro ».

« La créativité qu’on nous impose semaine après semaine nous fait éclater le cortex et les cellules grises nous chatouillent tout le long des cervicales. » Avec cependant une pointe d’amertume : «Les rencontres sont trop rares, les moments de solitude aussi. » Roland écoute, prolonge : « Rien n’est jamais joué en Afrique, rien n’est jamais définitif. Je connaissais ce continent par des images, mais j’ai quand même pris une sacrée claque ! »

Images vertiges. Et les sons qui résonnent dans toutes les têtes. Le bruit du vent au bord de l’océan, le murmure de la nuit dans le bush, les rumeurs des quartiers de Nairobi, l’écho des appels à la prière. L’espoir aussi : « Des peuples qui ne désespèrent jamais. Des gens qui ont envie de construire. » Et les inévitables questions. Pour Alain : « une certaine gêne de filmer » ; pour Roland : « pas de malaise, mais seulement l’envie d’être un peu plus discret quand même… » Souvenir sans doute le plus fort : le corps de Serge allongé sur la route. « Certaines choses, dit Philippe, prennent une seconde dimension, une place dans la vie que rien ni personne ne pourront effacer. »

Le Raid continue. Avec Philippe, avec Serge et avec Thierry venu rejoindre l’équipe.

Gauthier Fleuri a réalisé plus d’un millier de photographies, Benoît Jacques a tourné plus de cent cassettes, Jean-Claude Freydier et Olivier Lemaître ont toujours réussi à établir la liaison avec Paris, même au fond du bush. Les mécaniciens Jean-Pierre et René ne comptent plus leurs nuits blanches, les avant-courriers Guy et Pierre ont traversé tous les ministères, atterri sur tous les aéroports.

Après l’océan Indien et le lac Kariba, les neiges du Kilimandjaro et le sel du lac Assal, restent l’Asie et les Amériques. Encore plus de 35 000 kilomètres et 13 pays à découvrir.

Le Raid ne fait que commencer.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".