Bonjour Paris ! Ici, le Cap de Bonne-Espérance !

Je me lève dès cinq heures du matin, la gorge un peu serrée. Dehors, la rue est calme. Dans le ciel traînent encore quelques petits nuages. Le vent n’a pas l’air de souffler. Ce sera notre grande préoccupation d’aujourd’hui car je dois survoler le cap de Bonne-Espérance en hélicoptère. Sous ma douche, je répète mon texte, comme je le faisais avant mes examens de droit à Nancy : Vasco de Gama, le cap stratégique, Alexandre le Suisse, fils de restaurateur, Robert est musicien, Guilène n’est pas de Cassis mais de Cagnes et Fleuri Gauthier s’appelle Gauthier Fleuri.

Le convoi plutôt exceptionnel s’étire dans les rues désertes du Cap. C’est superbe. Avec Benoît, nous nous regardons, sans rien dire et descendons une soixantaine de kilomètres au sud de la ville, là où se trouve la dernière falaise.

Lorsque nous pénétrons dans la réserve naturelle de huit mille hectares entourant le cap, c’est un émerveillement: les autruches courent devant nos pare-buffles, les zèbres en croisent leurs rayures, les babouins sautent sur les capots, ce qui amuse particulièrement les Suisses Alexandre et Alain, tandis que les antilopes damalisques nous dédaignent du regard.

Le bout du monde est là, devant moi. Sauvage. Superbe. Intact. Je m’avance sur le promontoire qui domine la mer, là où se rejoignent l’océan Atlantique et l’océan Indien. C’est un rocher qui tombe sans prévenir dans un vide impressionnant, peuplé de cormorans planeurs, agité de vagues d’écume blanche. L’air emplit d’un seul coup les poumons. Devant la mer qui se soulève, j’ai envie de hurler ma joie et mon bonheur d’être là.

Je pense alors à ces fous de Bartolomeo Dias et de Vasco de Gama. Il y a cinq siècles, ils avaient été les premiers à doubler ce promontoire, baptisé d’abord « cap des Tempêtes », puis « cap de Bonne-Espérance », ce qui est quand même plus présentable. Un cap devenu stratégique par la force des guerres. L’ouverture du canal de Suez en 1869 l’avait dépourvu de toute utilité ; mais la guerre des Six Jours en 1967 lui avait heureusement rendu la place primordiale qui était la sienne dans cette région australe. La plupart des bateaux passant d’un océan à l’autre ne manquent pas aujourd’hui de faire escale au Cap, pour le plus grand bonheur des Sud-Africains !

Un vent très fort souffle en haut de la falaise, ce qui donne des boutons à Olivier Lemaître, notre ingénieur du son. Le directeur de la réserve, un « remake » de Peter Ustinov, scrute les profondeurs des cieux avant d’annoncer le chiffre fatidique de 120 kilomètres à l’heure.

Inquiet, je regarde Guy :

  • Il faut absolument décoller, sinon le programme est foutu. Si on ne voit pas le rocher du cap face à l’objectif, ce n’est pas la peine de venir ici !

Guy acquiesce. Les officiels sont sceptiques, très sceptiques.

Nos sept voitures et le camion surplombent l’océan. Après une longue discussion avec le pilote, nous décollons. Je dois en effet ouvrir l’antenne du haut de l’hélicoptère, en découvrant le cap de Bonne- Espérance. Pour cela, nous devons aller au large, là où les vents ne se brisent sur aucun obstacle. Le pilote est un as. L’engin est ballotté dans tous les sens, mais il tient bon. Devant nous, l’incroyable spectacle : l’océan, la falaise, la brume et, d’en haut, nos voitures blanches comme des cormorans avant de prendre leur envol.

Ça bouge. C’est grand. C’est génial. C’est impressionnant ! Cinq, quatre, trois, deux, un, zéro : à toi, Didier !

  • Bonjour Paris ! Ici, le cap de Bonne-Espérance ! Nous sommes à dix mille kilomètres de Paris, à quatre mille kilomètres au sud de l’Equateur. Nous vous invitons à participer à un rêve, à un événement ! Pour la première fois, des automobiles vont tenter de relier les deux pointes extrêmes de la planète !

Dans un bouquet de turbulences, le Raid est lancé. Christine et Guilène, Alexandre et Alain, Philippe et Serge, Francis et Robert, Roland et Laurent, Jean-Pierre, René, Gauthier, Olivier, Benoît, Guy nous dévalons la pente qui se jette vers le continent africain, à grand renfort de coups de klaxon. Un continent que nous allons remonter du sud au nord pendant plus de deux mois.

Quelques vues à flanc de corniches pour le générique et les feuilles de route atterrissent déjà sur mon capot : les Suisses restent au Cap, les filles vont à Johannesburg, les autres se répartissent sur les routes bitumées avec la même envie d’avaler le monde d’un seul coup.

Dans quelques heures, deux des Visa auront achevé leur tour du monde dans un fracas de tôle et d’acier.

avatar

Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".