Ambiance sinistre dans la caravane du Raid

Jeudi, 25 avril 1985.

Il pleut sur Quito.

Dans la nuit, Guy est revenu toucher les frais de mission couvrant les prochaines semaines. Derrière son guichet de la Banque centrale, l’employé a du mal à suivre les ordres de l’homme aux lunettes noires qui exige le versement de 37000 dollars… en petites coupures ! Un véritable trésor que l’Equatorien de service se presse d’emballer… dans du papier journal !

Et comme dehors, la pluie ne cesse de tomber, Guy ne trouve rien de mieux que de s’en protéger en hissant le « paquet-cadeau » sur ses cheveux mouillés ! Très vite, les gouttes percent le diaro, mettant à nu les billets que le vent disperse aux quatre coins de la rue pavée. Incroyable spectacle qui fait mettre Guy à genoux, au ras des trottoirs, pour ramasser une à une les coupures, en essayant d’oublier qu’ici, on assassine pour 50 dollars !

Je n’ai pas aimé Guayaquil. Peut-être parce que nous y sommes passés comme des fusées. En fait, je n’ai pas vu la ville. Juste un bout de trottoir sur lequel nous avons enregistré l’émission. Les films étaient mauvais, Francis Huster à peine audible au bout de la ligne, et puis, entre le film français et le film suisse, la police est venue me mettre sa carte sous le nez. « Pas d’autorisation ? Il faut partir tout de suite. » Ils ont commencé à se saisir de la console, ce qui a contrarié Jean-Claude, tandis qu’une jeune fille me souriait aux anges en me disant : « Je t’aime, tu as de beaux yeux. » La folie totale ! Guy, lui, était introuvable, entre deux rendez-vous, entre deux coups de téléphone. Le temps nous a manqué.

Les équipages, comme après chaque transfert, se sont démobilisés. Francis a couru derrière le taxi qui emportait la pochette jaune pour y glisser son film en catastrophe, Philippe me « fait la gueule » parce que j’ai osé lui reprocher de n’avoir rien rendu cette semaine et de s’être reposé, Guy n’a pas le moral et n’est pas dans le coup. Lui, si dynamique d’habitude, est à bout de forces. Je lui dis que « ce n’est pas le moment de craquer ». Nous avons tellement attendu l’Amérique latine tous les deux qu’on ne peut pas laisser tomber comme ça, « c’est trop bête » ! Je crois que la traversée de quatre pays en une semaine avec le Pérou demain), les voyages en avion et les parcours en automobile sont en train de nous achever ! Toute l’équipe en ressent les effets, ce qui ne simplifie pas vraiment nos rapports…

En sortant de Guayaquil, nous errons dans les faubourgs, nous trompant cent fois de chemin. Dans la voiture, l’ambiance est légèrement crispée, légèrement électrique. Je me sens seul. Je pourrai sans doute aller jusqu’au bout, mais s’il faut, en plus, remonter le moral de Guy, ça devient trop fort pour moi !

Pour rejoindre Lima, notre prochaine étape, il nous faudra parcourir 1600 kilomètres. La traversée du continent américain s’annonce déjà comme une véritable course, montre en main et tête à l’envers. Une course qui n’avance pas pour le moment : notre convoi (puisque nous allons à la frontière ensemble) est ralenti à chaque instant par des contrôles militaires. Sous des miradors entourés de barbelés, devant des mitraillettes qui ne rigolent pas, nous déclinons notre identité, le numéro de nos passeports et le contenu de nos voitures.

Seule la nuit vient calmer les esprits et adoucir notre envol difficile. Dans un petit boui-boui, sur le bord de la route, je fais le point avec Guy qui revient de l’Argentine, du Chili, du Pérou. Tout est en place mais sa grande inquiétude ; c’est l’arrivée de la neige.

  • Tu sais, c’est le début de l’hiver austral. Si nous ne passons pas avec les voitures, le Raid arrêtera à Buenos Aires. Tiens, goûte ce vin, il n’est pas mauvais. En Argentine, tu vas tomber raide. Les vins sont fantastiques !

Depuis le départ, Guy et moi n’avons jamais parlé d’autre chose que du Raid. Du matin au soir, c’est une complicité de tous les instants : au petit déjeuner, dans la voiture, au café, au restaurant, nous nous poursuivons sous la douche, dans nos chambres, interrompant nos rares instants de repos pour aller téléphoner à Paris et attendre dans l’angoisse le verdict de l’audimat. Combien, comment, pourquoi ? Quel film passait sur T. F. 1 ? Et l’audience en Suisse, au Canada, en Belgique, à Monaco ? Les critiques ? Allô, Jacques Antoine, merci Roger Bourgeon. Nous allons faire mieux, aller plus vite, remuer les candidats, décorer le plateau, changer les invités. Combien de fois Guy a-t-il frappé à ma porte en pleine nuit pour m’annoncer le dernier score que nous commentions jusqu’à l’aube ? L’émission nous a pris, complètement. Nous marchons avec « elle ». Nous sommes synchros.

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".