A son tour, le camion a lâché

Jeudi, 6 juin

Cela fait six jours que nous roulons, cinq nuits que Denis répare. Ce soir, nous devrions être enfin au Lago Argentine, à moins qu’un raccourci…

La suite ressemble au début : la boue, les crevaisons, l’essence qui manque, le froid, le gel. Seule nouveauté : des faons sautillent de chaque côté de la voiture, ceux-là mêmes que Walt Disney avait observés lorsqu’il était venu faire des repérages pour Bambi. Enfin, vers 16 heures, nous arrivons à El Calafate, tout au sud de l’Argentine, à quelques kilomètres de ce fameux glacier descendu sur terre. Georges et Christine sont déjà là. Devant un bon feu de bois, l’homme sourit en écoutant notre histoire :

  • Savez-vous, jeunes gens, que ce terrain sur lequel vous vous êtes perdus cette nuit, s’appelle le plateau de la Mort ! Aucun Argentin ne s’y aventure, ni en hiver ni en été, même à cheval !

L’ Automobile-club argentin a ouvert pour nous une demi-douzaine de petits bungalows en bois, au pied du glacier. L’endroit a l’air superbe. Aussitôt, j’installe mes appareils de visionnage pour vivre une seconde fois nos six jours de folie. Mais cette fois, j’écris mon commentaire debout, tant il fait froid dans la chambre, privée d’eau courante et désertée sans doute depuis de nombreux mois. Vers minuit, j’essaye de m’endormir habillé sous une dizaine de couvertures, en me demandant pourquoi ni Gauthier, ni Denis, ni Marie-Odile ne sont là. A deux heures du matin, une ombre se profile dans la chambre. Les cambrioleurs étant rares dans la région, j’en déduis qu’il doit s’agir d’un membre de l’équipe. Effectivement, c’est Jean-Claude Freydier, l’ingénieur du son.

  • Tu fais encore tes réglages, Jean-Claude ?
  • Non, non… me répond-il comme s’il cherchait ses mots, mais tu sais, il y a un problème avec Denis…

Je sursaute et me lève :

  • Quoi, quel problème ?
  • Le camion s’est renversé dans la boue, mais Denis va bien. Il a fallu qu’il cherche une grue toute la soirée, et puis ici ce n’est pas évident d’en trouver !
  • Il y a des blessés ?
  • Non, il n’y a pas de blessés, mais le matériel a souffert : la vitre avant, les phares, les tubes de protection. Des bricoles…
  • Ce n’est donc pas fini ! Même le camion a lâché ! C’est complète­ ment fou, cette étape.
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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".