Jeudi 30 mai.
L’axe Buenos Aires-Santiago était une exception. Une sorte de parenthèse horizontale. Cette fois nous sommes bien descendus de Santiago à Puerto Montt. Mille kilomètres à travers une campagne vierge, peinte en vert, parsemée de maisonnettes en bois comme dans les pays scandinaves. Nous avons perdu les candidats sur cette route sans fin.
A chaque contrôle les carabiniers vérifiaient notre identité. Ils savaient qui nous étions, où nous allions, combien de voitures étaient passées avant nous et combien passeraient après. Tout cela, pour « assurer notre sécurité ».
Nous sommes enfin arrivés à Puerto Montt. L’hiver est là, le soleil jaune joue sans cesse avec le ciel noir, une foule disparate se presse dans les rues ventées. L’hôtel est grand, désert, les pièces à peine chaudes. Dehors le vent souffle par rafales, agitant la mer qui se brise sur les galets glacés. Dans ma chambre une interprète timide et timorée traduit les interviews de La Victoria avec une certaine angoisse : « Avez-vous interrogé le gouvernement ? Qu’en pense-t-il ? Il faut être objectif ! »
Je m’inquiète car ni Roland, ni Robert, ni Philippe ne sont là. Seuls Christine et Serge sont arrivés, visionnant les images de Valparaiso pour quelques esthètes frigorifiés.
Quant à Guilène, elle vient de quitter Buenos Aires pour rejoindre Puerto Montt en compagnie de Frédéric Claudios, notre deuxième mécanicien. Comme la route est longue et monotone, Guilène, qui a peur de s’endormir, récite l’alphabet en articulant beaucoup mieux qu’elle ne le faisait à l’école. Soudain elle aperçoit dans la pampa désertique une enseigne lumineuse annonçant sans doute un motel. Le portail d’entrée dans une niche en velours, un téléphone rose éclairé par une ampoule rouge, une interlocutrice à la voix suave qui annonce 1800 pesos pour deux heures, il n’y a aucun doute, ce motel est un transitorio , une spécialité typiquement argentine, réservée aux couples illicites ou amants occasionnels.
« Tout à fait ce qu’il nous faut ! » dit Guilène. Le hasard leur attribue le pavillon numéro 7, composé d’une chambre et d’une petite salle de bains. Rien ne manque pour accéder très vite au ciel : un lit immense surplombé d’un miroir incliné, les murs recouverts de glaces, les petites lampes rouges et bleues, la musique qui diffuse des slows langoureux. A travers le judas de la porte, Guilène et Frédéric paient d’avance, pour une fois, le solde de leurs six heures.
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