Dernière étape sur l’altiplano

Vendredi, 10 mai.

Dès l’émission terminée, les lamas des hauts plateaux se dispersent, méprisant du regard notre matériel répandu sur leur terrain. Depuis Paris, Patrick Croix réclame les retours des régies (chaque semaine, nous devions envoyer les factures correspondant à nos dépenses) : « Les Belges et les Suisses, j’attends vos factures de l’Equateur, dépêchez-vous de me renvoyer tout cela. » Il donne aussi les horaires de l’avion du retour…

Guilène plaisante avec Bernard Sasia et Arnaud Blin, les deux monteurs qui signent chaque semaine un travail exceptionnel, Jean-Claude Freydier évoque ses prochaines lignes téléphoniques et moi, je conclus en donnant l’état des routes à Roger Bourgeon, évaluant une date probable d’arrivée en Argentine. Cela ne va pas être facile, car Georges Siciliano , en montant au plateau, regardait les étoiles s’évanouir « dans le ciel si pur de l’altiplano ». Résultat : la voiture s’est écrasée contre un gros rocher. Il faut prévoir une après-midi d’immobilisation et sans doute un retard au départ avant même d’avoir entamé l’étape…

Nos conversations, aux quatre-fils, après chaque émission, nous rappro­chent de plus en plus. Je sens les responsables de l’équipe parisienne plus présents, sans doute parce que la fin nous rassemble dans les mêmes inquiétudes mais je n’aime plus ces contacts qui nous mettent en face des réalités, sans échappatoire aucune. J’ai envie de couper la ligne, de ne plus donner aucun signe de vie, de partir définitivement au bout de mon rêve, sans avoir de comptes à rendre. J’ai soudain l’impression qu’on nous a volés, qu’on nous a pris tout ce qu’il y avait de meilleur, pour nous laisser la peau de chagrin de nos illusions déjà perdues. L’émission nous a échappé maintenant. Avec les candidats, au-delà de l’antenne et de nos rapports de travail, nous ne formons plus qu’une équipe de quinze personnes, toutes embarquées sur le même radeau. Avec la même histoire, la même destination, la même aventure qui commence à dépasser l’émission. Celle qui nous perdra forcément d’avoir trop voulu vivre.

Une nouvelle fois, la route va accaparer notre attention. La moitié des équipages s’envole pour Salta, afin d’y tourner un reportage, car nous craignons que les 900 kilomètres de piste sur l’altiplano bolivien n’achèvent définitivement nos voitures. C’est notre dernier tronçon à cette altitude. Le mot d’ordre ne laisse place à aucune ambiguïté

« Roulez doucement. Evitez les trous et les ravins. »

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Didier Regnier

Didier a encadré la caravane du Grand Raid du Cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu, animant l'émission sur le terrain et réalisant des récits étape pour présenter les pays traversés et illustrer les aventures et anecdotes de la semaine. Ses articles sur ce site sont des extraits du livre qu'il a publié en 1985 chez Robert Laffont, "L'Aventure du Grand Raid".