Aux premières lueurs du jour, la tente est devenue glaciale. Dehors, le givre a recouvert nos voitures d’une parure blanche. En silence, des Indiens nous dévisagent, se demandant sans doute pourquoi les ovni leur sont tombés sur la tête. Tout autour de nous, des dizaines de lamas tentent de se réchauffer dans les premiers rayons du soleil qui découpent leur laine d’un liséré jaune. Ce que je vois défie l’imagination. C’est un monde à cent mille kilomètres de chez nous, pur, silencieux d’une beauté intouchable : les lamas, la montagne, le ciel bleu et ce poncho rayé de rouge qui s’approche, guidé par les notes mélancoliques d’une flûte des Andes. Je voudrais rester là, m’arrêter un moment pour comprendre comment ces gens vivent et pourquoi la montagne est à ce point leur complice.
Dès six heures, nous repartons pour affronter 400 kilomètres de piste. La voiture sans amortisseurs roule dans un bruit d’enfer sur les multiples bosses et trous qui ont saigné la route. Nous la contrôlons de moins en moins, elle dérape, chasse, se met en travers au risque de nous faire tomber dans les ravins. Dehors, le paysage est somptueux : de gigantesques troupeaux de moutons broutent l’herbe rare sur les pentes jaune et vert des montagnes, le Pinz se reflète dans les eaux calmes des petits lacs, une paysanne à chapeau rond court derrière des vigognes en déroute, un niño aboie pour faire revenir son chien. Le temps presse mais nous buvons à chaque instant ce décor de rêve, réalisant notre bonheur, notre chance de vivre ces journées au bout de la planète et de pouvoir en faire profiter des milliers de personnes.
Nous abordons notre troisième jour de conduite sans avoir encore passé la frontière bolivienne, sans rattraper le retard. Pire, il faut de nouveau s’arrêter pour réparer. A Santa Lucia, Frédéric et Denis changent les amortisseurs de notre voiture et ceux de celle de Gauthier. La grêle tombe. Les villageois ont froid, mais ils nous soutiennent du regard pendant nos cinq heures de travail. Je savais que les Andes auraient raison de la mécanique et je m’attends maintenant à d’autres blessures, côté candidats. Où sont-ils à cette heure-ci ? Les personnes à qui nous demandons si elles ont vu de semblables engins nous répondent toutes par la négative. Ils sont probablement derrière, mais à combien de kilomètres ? En coup de vent nous traversons Juliaca et arrivons enfin à Puno, sur les bords du Titicaca.
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