Vendredi, 3 mai.
- Allô, Paris, vous m’entendez ?
- Oui, je te reçois. C’est Jean-Michel. Vous me recevez bien ? Vous êtes où, aujourd’hui ?
- Au Pérou, à Casapalca. C’est à trois heures de route de Lima, à 4200 mètres d’altitude !
Incroyable ! Notre petite antenne émerge au-dessus des baraquements des ouvriers, les câbles courent sur le sol ocre ; et puis, un peu plus loin, il y a le camion, les voitures, les consoles de mixage recouverts d’une couche de poussière terreuse. Nous avons installé notre plateau au cœur même de la mine de Casapalca, sur la route du Ticlio ; une mine où l’on extrait depuis des années de l’argent, du plomb et du cuivre.
Il est sept heures du matin.
Les mineurs se massent autour de nous, sans rien dire. A peine réveillés, ils nous regardent, hébétés, surpris. C’est ET sur fond de Germinal. Ils ne doivent pas comprendre.
Au moment de lancer l’émission, je n’arrive pas à réciter mon texte de présentation. D’abord, Alexandre Bochatay me fait rire en manipulant notre bonbonne à oxygène ; ensuite, je confonds l’or avec l’argent, le plomb avec l’étain. Tout le monde rigole. Alors, Roland, qui ne perd jamais l’occasion d’aider « le chef », prend un carton sur lequel il écrit en gros caractères : PLOMB, ARGENT, CUIVRE, puis l’agite aux côtés de la caméra, heureux d’avoir inventé le prompteur…
Dans son coin, Jean-Claude Freydier est moins agité… Il récupère lentement du malaise dont il a été victime ce matin, ce qui nous a valu un détour par le petit hôpital de Casapalca.
La voix de Roger Bourgeon atterrit au milieu de la mine, à peine perceptible :
- Didier, votre dernière expédition à partir de l’Equateur s’était faite correctement, dans la pochette jaune ?
- Oui, bien sûr… Guy est allé jusque dans la soute de l’avion pour vérifier si elle était en sécurité, pourquoi ?
- Eh bien… une partie des films a été volée dans l’avion entre Guayaquil et Paris… à savoir le reportage de Télé-Monte-Carlo et l’interview du président de la République équatorienne réalisée par les Suisses.
Alexandre est furieux, les filles très déçues. Il ne manquait plus que le vol ! L’émission s’écoule vite, comme d’habitude. Présentation, film, notation au cours de laquelle je décerne un deuxième avertissement à l’équipage belge qui n’a pas rendu le nombre de films souhaité à Guayaquil. Enfin générique de fin et rangement du « campement ».
Je monte dans la voiture de Serge pour regagner Lima au plus vite, car nous devons partir pour la Bolivie. Serge descend en quatrième, en me parlant de l’avenir, de ce qu’il fera plus tard. Depuis quelques jours, je sens chez les candidats une préoccupation qui les mobilise de plus en plus. Ils réalisent que le voyage tire à sa fin, que cette vie de milliardaires qu’ils mènent tous les jours va s’arrêter brutalement, les laissant sur le trottoir, une valise à la main. En général, ils veulent tout casser, marquer la rupture et ne pas recommencer ce qu’ils faisaient avant.
Nous nous engouffrons sous un tunnel à vive allure. Soudain, dans les ténèbres, une masse noire : un camion est arrêté au milieu de la route, tous feux éteints. Je hurle. Serge freine, un peu tard, évitant d’un centimètre la catastrophe. Un quart d’heure plus tard, Jean- Claude Voquer et Jean-Claude Freydier, qui nous suivaient, se font « braquer » par un homme revêtu d’une cagoule. En pleine montagne, ils sont seuls face à cet individu qui pointe sa mitraillette à l’intérieur de la voiture, en exigeant qu’ils descendent son « copain » vers la capitale. Sans doute des membres du Sentier Lumineux, selon certains Péruviens à qui nous avons demandé une explication. Ces dernières semaines, ils renforcent leurs pressions autour de la capitale, pour saluer l’arrivée du nouveau président Alan Garcia et lui faire comprendre que les chefs d’État passent mais que les problèmes… demeurent…
Devant l’hôtel, je secoue les candidats qui semblent un peu s’endormir et, pour certains, céder au charme irrésistible des LatinoAméricaines. Georges achève son troisième sandwich en promettant la lune à une descendante du dieu Soleil. Ces temps-ci, le rapprochement des civilisations a quelque peu séparé les raiders. D’un côté, Guy prend l’avion pour Santiago du Chili, de l’autre, Jean-Claude Voquer et un représentant de chaque équipage s’envolent pour La Paz. Jorge, le transitaire qui nous a suivis depuis la frontière pour nous aider, nous regarde partir. Il n’a rien compris à notre folie, s’est mis à fumer deux fois plus, a attrapé des tics et perdu des kilos. Avec son air bonhomme, il me dit : « Une semaine avec vous, maintenant, je peux prendre un an de vacances ! » Sur le trottoir, je fixe le prochain rendez-vous : « Nous nous retrouvons à Puno, à l’hôtel donnant sur le lac. De là, nous partirons pour Desaguadero, le poste frontière bolivien. Attention : il y a 1600 kilomètres pour rejoindre La Paz dont 400 de piste, et le mur des Andes à franchir. Ne traînez pas ! »
25 ans plus tard, les mineurs de Casapalca travaillent toujours dans des conditions qui, comme le souligne Didier, rappellent Germinal: ils risquent leur vie pour moins de 100 euros par mois et 12 heures de travail par jour. En février 2009, 5 mineurs ont été enterrés vivants. A lire: un article de presse récent sur Casapalca et les mines péruviennes: la traduction automatique Google ou sa version originale en anglais.